Qu’il s’agisse d’un attentat, d’un mégafeu, de l’effondrement d’un immeuble ou d’inondations, la France a eu à faire face des situations relativement violentes, qui passées, le déploiement d’un dispositif mêlant national et territorial nécessite un suivi à moyen-long terme, quasi-individuel des victimes sur le territoire français. À ce titre, aussi bien Juliette Méadel, ancienne secrétaire d’Etat aux victimes et magistrate à la Cour des comptes, que Laurent Cacciatore, directeur du CCAS de La Teste de Buch, Audrey Garino, adjointe au maire de Marseille, ou Yves François, président de l’association de Protection Civile du Bas-Rhin, ont une réflexion à partager sur leur gestion d’une crise, alors qu’ils étaient en fonction.
« Quand vous êtes précarisé, vous payez dix fois plus que les autres »
De façon assez universelle, la gestion de crise s’arbitre en deux temps. D’abord, l’action dans l’urgence ou la réponse immédiate, puis le suivi des victimes et les conséquences de l’évènement sur le moyen et le long terme. Qu’il s’agisse d’un attentat comme en 2016 à Nice, d’un crash aérien, de l’incendie d’un bar, d’un mégafeu ou d’inondations comme dans le Pas-de-Calais, précise Juliette Méadel, ancienne secrétaire d’Etat aux victimes et magistrate à la Cour des comptes : « il y a des points communs dans l’intervention publique dans toutes ces catastrophes ». L’État est bon dans l’urgence, reconnaît-elle, « mais pas dans le suivi des victimes. Pour ça, les CCAS sont fondamentaux ».
Aussi, un facteur pèse grandement dans la capacité à se reconstriure après ce type d’événements : le niveau social des victimes. « C’est la loi de Murphy, explique l’ancienne secrétaire d’État. Quand vous êtes précarisé, et que vous subissez un attentat ou une catastrophe, vous payez dix fois plus qu’un autre ». Par exemple, lors des inondations de fin 2023 dans le Pas-de-Calais, « certains qui sont limités, sur le plan financier au quotidien, non pas assez d’argent pour faire face au coût de la catastrophe ». Juliette Méadel se souvient de « maires de Seine-et-Marne qui allaient acheter des couches, du lait et des packs d’eau bénévolement pour aider leur population ». Et plutôt que de pointer les dysfonctionnements des CCAS, selon elle, il faut les renforcer dans leur efficacité. Quelle que soit la couleur politique des élus, « le CCAS est le dernier rempart contre la précarité », souligne-t-elle. Et la précarité sociale, « c’est un gros coût macro-économique, alors il convient d’investir en priorité dans les CCAS », pour éviter aux plus démunis, de « se clochardiser ».
Des travaux dirigés pour mobiliser les différents acteurs
Un avis partagé par Yves François de l’IRMa. Lui insiste, sur la nécessité de se préparer en tant que CCAS et commune à une future crise et surtout à la post-crise. « Pour éviter de se cogner le nez, il faut associer les services de « l’après » à la gestion de la crise, pour anticiper un certain nombre de thématiques sur le temps qui suit », insiste-t-il.
Des dispositifs existent déjà pour gérer l’urgence, comme les plans Orsec, mais dans le cas de l’après-crise, le représentant de l’IRMa en appelle à des exercices de gestion. Des sortes de travaux dirigés, pour « mobiliser les différents acteurs : le CCAS, la réserve communale et la sécurité civile, afin de voir ce que ça donne et préparer un basculement plus fluide entre la crise et le post crise ».
Le cas de Marseille, bien que tragique est édifiant pour aborder cette fluidité. Audrey Garino, adjointe au maire de Marseille a pu tirer des bilans des catastrophes qui ont eu lieu sur son territoire. Avec l’effondrement, il y a un an de l’immeuble rue Tivoli, la mairie et son CCAS a eu évidemment en mémoire, la tragédie de 2018 de la rue d’Aubagne. Pour gérer l’urgent, Marseille a la chance d’avoir un Samu social municipal qui agit en première ligne. La procédure est la suivante : « évacuer, puis expertiser avant de voir si les habitants peuvent réintégrer », si c’est une option viable. Rue Tivoli, quarante-cinq personnes ont été immédiatement évacuées, puis 300 dans la continuité, pour se prémunir de tout risque supplémentaire.
Rassembler les différents acteurs pour faciliter l’après
Passé le choc du drame, le CCAS est chargé d’accompagner les victimes dans leur réintégration. À travers tout ce que ça implique : logement, prise en charge psychologique, état de santé des victimes, surtout pour les plus fragiles. La difficulté principale du CCAS lors de ce type de crise, reste le lien avec la Ville. « Il faut le renforcer car il existe parfois un manque de fluidité », souligne Audrey Garino. Pour faciliter les démarches des usagers, tous se sont accordés à réunir les interlocuteurs dans un seul et même endroit, un gymnase de la commune. Là, ceux qui en avaient besoin pouvaient trouver une « assistance psychologique (non gérée par le CCAS), des avocats, et les travailleurs sociaux du CCAS », explique-t-elle.
Ce lieu d’accompagnement global a également été créé à Nice, suite aux attentats, avec la maison des victimes rue Gioffredo. Une commission dédiée a aussi été instaurée suite au drame. Dans une situation déjà éprouvante, rassembler les différents intervenants semble faciliter grandement la communication et le pilotage de l’accompagnement « quasi-individuel des victimes ».
Les populations les plus vulnérables face aux catastrophes naturelles
« Les CCAS ne sont pas des services d’urgence, mais ils gèrent l’urgence au quotidien », relève Laurent Cacciatore, responsable du CCAS de la Teste-de-Buch. Il fait d’ailleurs partie du conseil de crise : « j’ai aussi en charge le lieu d’hébergement en cas d’évacuation », souligne-t-il. Une énorme entreprise. La commune s’est retrouvée au cœur d’une catastrophe naturelle immense. Plusieurs mégafeux ont rongé plus de 6 000 hectares de forêts et terrain. Forçant la collectivité et son CCAS à opérer une évacuation massive des administrés. Or la veille des incendies, la structure avait participé à un exercice d’urgence. « Mais dans la pratique quand on est réveillé à 2 h du matin un 13 juillet, ce n’est pas la même chose du tout », souligne-t-il. D’autant que les lieux où le directeur avait la charge d’aider à l’évacuation de 6 000 personnes, étaient les seuls parkings non répertoriés par l’exercice d’urgence de la veille. « On n’imaginait pas l’ampleur, cela a duré onze jours », poursuite Laurent Cacciatore. Et il aura fallu évacuer au final près de 20 000 personnes par précaution.
Parmi les personnes déplacées par la crise, le directeur du CCAS a dû gérer environ 70 personnes résidant en EHPAD. « Une sacrée expérience, se souvient-il. Il a fallu trouver 70 ambulances pour les évacuer et leur trouver 70 places d’EHPAD ». Une démarche qui s’est compliquée pour le fonctionnaire quand « en même temps l’Etat organisait deux autres évacuations d’EHPAD dans la région : c’était inédit ! » , raconte-t-il de façon presque tragi-comique.
Le plus marquant pour le directeur du CCAS de la Teste-de-Buch a été la violence du retour des bénéficiaires chez eux, après 9 jours d’exil. « Le choc a été énorme, puisque la particularité du territoire est que l’arrivée se fait sur une grande ligne droite », décrit-il. « De chaque côté, on pouvait voir les stigmates de l’incendie. C’était impossible de reconnaître là où l’on vivait, ça a généré un gros traumatisme pour les habitants. »
Dans l’accompagnement, la municipalité a bien compris l’impact économique de la catastrophe et a cherché à épauler au maximum les travailleurs et saisonniers avec les trente pour cent de manque à gagner engendrés. Grâce au bénévolat, généré par la solidarité des habitants pendant la crise, la réserve civique communale fait désormais pleinement partie du dispositif d’urgence et de post-urgence. « On a structuré cette réserve, précise Laurent Cacciatore, et on va commencer à s’entraîner à d’autres événements ». La difficulté réside en partie là : parvenir à imaginer l’inimaginable.
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