Cerema
L’électrification des usages combinée aux délais de mise en service de futurs réacteurs nucléaires conduit à un « mur énergétique ». Pour le franchir, deux leviers sont actionnés : la sobriété et le développement des énergies renouvelables. Ce dernier volet est le but de la loi d’accélération des énergies renouvelables, votée en mars 2023. Pour accompagner les collectivités dans leurs démarches, le Cerema et l’IGN ont mis en ligne un portail du potentiel local des énergies renouvelables, à l’échelle nationale. Comme un cadastre solaire, mais pour toutes les énergies, et toute la France.
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Par Myriam Lorcet, responsable d’opération « énergies renouvelables terrestres », Didier Soulage, chargé de mission climat et responsable du secteur d’activité « énergies renouvelables », et Luc Petitpain, chef de projet réseaux de chaleurs et de froid au Cerema
Planifier pour accélérer
La transition énergétique engagée consiste en un triple mouvement : la baisse de nos consommations d’énergie (sobriété, efficacité), la suppression d’ici à 2050 du recours aux énergies fossiles (notamment via l’électrification des usages), et l’augmentation de la production d’énergies renouvelables (ENR). La mise en service de nouvelles capacités nucléaires étant difficile avant au moins 2035, cette situation nous place devant ce que certains ont pu qualifier de « mur énergétique » dont l’échéance se situe entre 2030 et 2035. Ainsi, dans le Guide pour les élus publié en juillet 2023, la ministre de la Transition énergétique expose que « l’accélération du déploiement des énergies renouvelables à court terme est absolument nécessaire pour garantir notre sécurité d’approvisionnement énergétique, décarboner notre économie et maintenir la compétitivité de nos territoires et de nos entreprises d’ici à 2030 ».
C’est tout l’enjeu de la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi Aper, du 10 mars 2023 : apporter des outils opérationnels pour réussir cette transition. En particulier, son article 15 introduit un tout nouvel objet dans la planification territoriale : la zone d’accélération des énergies renouvelables (ZAER). Cette zone, définie par les communes, est un outil clé pour leur permettre de s’approprier la transition énergétique sur leur territoire.
Violaine Tarizzo, de la sous-direction des systèmes électriques et des énergies renouvelables de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au ministère de la Transition écologique explique que « le législateur a voulu confier aux communes l’initiative de définir les zones d’accélération sur leur territoire, dans un mouvement de planification ascendante. Les ZAER témoignent de la volonté politique de la commune d’implanter telle ou telle filière d’énergie renouvelable sur une partie du territoire de la commune plutôt qu’une autre ».
Outre leurs effets légaux, tels qu’un raccourcissement de certains délais d’instruction ou bien des incitations financières spécifiques, ces fameuses zones d’accélération présentent des bénéfices bien concrets :
- la commune ayant conduit une concertation avec les habitants, les zones retenues bénéficient d’un dialogue local qui laisse présager une meilleure acceptabilité des projets ;
- la visibilité donnée aux développeurs sur les ZAER les incite à se diriger en priorité vers ces zones ;
- les ZAER donnent une visibilité sur les objectifs de développement des ENR de la commune à différents horizons temporels, ce qui facilite le dialogue entre les parties prenantes ;
- ces zones d’accélération ne sont pas exclusives : il reste tout à fait possible de développer des projets en dehors de ces zones. Ils ne bénéficieront tout simplement pas des conditions a priori favorables et devront, pour les plus importants, organiser un comité de projet à leurs frais.
Toutefois, ce dispositif des ZAER ne vaut pas quitus. Violaine Tarizzo explique ainsi que « définir une zone d’accélération n’entraîne aucun engagement quant aux projets qui pourraient être déposés dans cette zone : ils resteront soumis à l’ensemble des procédures d’instruction réglementaires en vigueur ».
En complément de cet article 15, la loi Aper introduit également d’autres bénéfices pour les communes qui développent des projets d’ENR, et notamment :
- le partage de la valeur, avec la possibilité pour les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernés de faire financer par un projet ENR des actions contre la précarité énergétique, pour la biodiversité, la mobilité, la rénovation énergétique, du patrimoine, etc.
- la priorité donnée à la mobilisation du foncier déjà artificialisé notamment par des obligations d’installations de procédés de production d’ENR en toiture et sur parkings ;
- la mise en place d’un cadre pour le développement de l’agrivoltaïsme (devant être précisé par décret) ;
- la clarification des dispositions s’appliquant aux communautés énergétiques renouvelables, aux communautés d’énergie citoyennes, ainsi qu’aux projets d’autoconsommation collective et aux contrats de vente directe d’électricité (les PPA, « Power purchase agreement ») pour les collectivités.
Un portail cartographique des ENR
Les communes ont l’initiative de leur planification des ENR… et pour leur permettre d’agir de façon éclairée et en toute connaissance de cause, le législateur a demandé à l’État de mettre à leur disposition toutes les données nécessaires : c’est le portail cartographique français des ENR. Trois jours après la publication de la loi, la ministre Agnès Pannier-Runacher confiait à l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) et au Cerema la mission de créer le portail, avec l’appui de la DGEC.
Ce portail, c’est :
- un outil de mise à disposition des données sur les ENR et sur le territoire, conçu pour l’aide à la décision ;
- un outil pour concevoir et renseigner ses zones d’accélération, pour en assurer le processus administratif ;
- une communauté d’entraide « entre pairs » ;
- des données statistiques de consommation et de production d’énergie, pour chaque filière et par communes.
Une toute première version du « portail ENR » a été mise en ligne dès le 10 mai 2023, deux mois après la publication de la loi Aper. Bien que publiée en version « bêta », elle s’est voulue d’emblée opérationnelle et utilisable en autonomie quelle que soit l’échelle de la collectivité. Plusieurs webinaires ont d’ailleurs eu lieu, afin de donner à tous les clés pour s’emparer de l’outil. Elle comporte à la fois :
- de nouvelles fonctionnalités techniques de gestion des couches de données, avec une interface entièrement revue ;
- les outils de saisie et d’import/export des zones d’accélération, y compris des attributs ;
- une gestion intégrée du processus administratif des ZAER ; proposition des zones d’accélération auprès du référent préfectoral, demandes d’avis, notamment à l’EPCI.
La nouvelle version du portail permet de saisir les attributs descripteurs de chaque zone d’accélération, comme un focus sur-le-champ « filière énergétique ».
Du côté des données, le portail propose des informations cartographiques totalement nouvelles au plan national, comme la couche « clé en main » pour l’éolien terrestre construite par l’IGN à partir des analyses établies par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), et désormais disponible également en outre-mer. Il propose encore une cartographie simplifiée des potentiels solaires des 48 millions de bâtiments en France produite par le Cerema, ou les données sur le potentiel de développement des réseaux de chaleur (1).
Le portail s’est enrichi de nouvelles données tout au long de l’année, en collaborant avec les grands producteurs de données énergétiques : agence ORE, la plateforme ODRE (Open data réseaux énergies), RTE (Réseau de transport de l’électricité), Enedis, GRTgaz, BRGM (Bureau des recherches géologiques et minières), OFB (Office français de la biodiversité), France chaleur urbaine, mission connaissance du Commissariat général au développement durable (CGDD), etc. Le portail s’est également mis au service des collectivités en proposant la mise en visibilité de leurs propres cadastres solaires dans une couche dite « couche nationale des cadastres solaires en toitures locaux ».
Les environnements techniques de travail sont très différents entre de petites communes sans moyens techniques ni personnel compétent à ceux de métropoles aguerries dans les systèmes d’information géographiques (SIG).
Aussi, le portail a été conçu dans l’optique de pouvoir s’adapter à cette grande variété de situations :
- il peut être utilisé en toute autonomie et sans compétence SIG, allant de la prise de connaissance des potentiels du territoire en passant par les enjeux environnementaux et la situation des réseaux, jusqu’au tracé des propositions des zones d’accélération ;
- des données locales peuvent y être importées pour être croisées avec les autres données ou même en alternative à des données élaborées au plan national et qui seraient moins précises ; – à l’inverse, les données du portail, dont certaines étaient inédites jusqu’alors, sont en open data et peuvent être téléchargées pour s’intégrer dans les SIG des collectivités.
Condition sine qua non pour une ouverture complète aux différents écosystèmes de gestion de données des collectivités et aux différentes méthodes de travail mises en œuvre : il fallait définir le format standard attendu de ces fameuses zones d’accélération. Sur la base des travaux d’un groupe de travail réuni par l’IGN et le Cerema et associant des collectivités, leurs fédérations et des opérateurs, un gabarit ainsi que des attributs types ont été définis et publiés sur le site du portail. Pour ceux qui choisissent de concevoir les zones d’accélération dans leur propre outil SIG, les saisir en respectant ce gabarit standard assure qu’elles pourront ensuite être importées dans le portail national pour poursuivre leur instruction au plan communal. Bien entendu, la saisie des zones d’accélération directement dans le portail garantit le respect du format standard.
EnRezo, pour développer les réseaux de chaleur et de froid
Lancé en avril 2023, EnRezo associe l’ensemble des acteurs impliqués dans le développement des réseaux de chaleur et de froid (représentants des filières d’énergies renouvelables (ENR) et de récupération, bureaux d’études, collectivités et entreprises). Ce service vise à cartographier au niveau national les potentiels de développement des réseaux de chaleur et de froid en croisant les besoins, les réseaux existants et les gisements d’ENR et de récupération. Il a pour principal objectif d’accompagner les collectivités dans leur stratégie de développement de la chaleur et du froid renouvelables, et s’adresse aussi aux bureaux d’études, aux services de l’État, aux observatoires de l’énergie ou tout propriétaire ou usager d’un site ayant une consommation ou un potentiel de valorisation de chaleur et de froid.
Partout en France, le projet EnRezo du Cerema facilite la réalisation des études d’opportunité, des schémas directeurs et permet d’engager plus rapidement des études de faisabilité sur les secteurs identifiés par les acteurs locaux. Ces possibilités techniques, amenant à une décision politique plus rapide, participent à l’objectif de massification des réseaux de chaleur et de froid et de décarbonation du secteur de la chaleur en France.
Pour plus d’informations : s.42l.fr/enrezo, avec le soutien de l’Ademe et de la Direction générale de l’énergie et du climat.
Un écosystème d’outil et d’accompagnement
Parce qu’il ne suffit pas de mettre à disposition des données pour atteindre l’objectif, c’est tout un dispositif d’ensemble qui est mobilisé pour réussir cette étape cruciale de planification. Le volet accompagnement se décline à tous les niveaux :
- une communauté d’entraide « entre pairs » hébergée sur la plateforme expertises. territoires, forte de déjà 1 200 membres, où chacun peut poser ses questions, trouver des ressources, des réponses officielles, échanger son expérience et ses pratiques…
- des webinaires nationaux : trois ont déjà été réalisés, et les replays sont disponibles sur la communauté d’entraide ; – des guides et fiches documentaires, comme la série de fiches sur chaque filière d’ENR éditées par l’Ademe, ou encore les guides pas à pas pour concevoir les zones d’accélération avec les données du portail.
Il se décline aussi localement, avec la mobilisation du réseau des générateurs de l’Ademe, des directions territoriales du Cerema et les conseillers territoriaux d’Enedis. Il a également l’appui des EPCI et de toute l’ingénierie locale : syndicats d’énergie, agences locales et, bien entendu, de l’ingénierie privée.
Le portail a également été conçu comme partie intégrante de tout l’écosystème des outils et données existant dans le vaste domaine des ENR. Si le portail en lui-même est totalement « autoportant » et permet de conduire de bout en bout la démarche de conception et de gestion des ZAER, il n’en demeure pas moins que pour des approches plus approfondies, on peut recourir à des outils dédiés spécifiques. Ainsi, par exemple, pour une approche fine des protections patrimoniales, on pourra consulter l’atlas des patrimoines du ministère de la Culture ; pour le détail des différentes technologies de géothermies, on pourra aller sur le site geothermies.fr opéré par le BRGM ; en matière de réseaux de chaleur de froid, le service EnRezo, etc. Il existe aussi des outils complémentaires, par exemple la feuille de calcul développée par l’Association des maires ruraux de France, qui permet de construire une perspective sur des trajectoires chiffrées.
Des données, des outils, des guides, un portail national, oui. Mais, actuellement, on assiste surtout à une réelle et inédite dynamique collective autour de la planification des ENR. Nombre de collectivités sont d’ores et déjà en train de concerter sur leurs projets de zones d’accélération, d’autres s’y préparent, les écosystèmes locaux de l’ingénierie, publique comme privée, sont sur le front. Jusqu’à 2 500 visiteurs viennent chaque jour sur le site du portail national des ENR. Cette dynamique nous oblige, et elle a de quoi motiver tous ceux qui œuvrent pour davantage d’ENR dans notre pays.
Sébastien Eyraud, responsable du service transition énergétique de la CC Cœur de Savoie
« La communauté de communes Cœur de Savoie compte 41 communes et 37 000 habitants, entre les massifs des Bauges, de la Chartreuse et de Belledonne. À sa création, en 2014, le projet fédérateur a été la transition énergétique. Le territoire est labellisé territoire à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV), et Cit’ergie depuis 2020. Cit’ergie est un label intéressant car il y a une évaluation par un auditeur externe, et permet donc de savoir où on se situe et comment progresser. Lors de notre première candidature, les axes de progression proposés étaient la meilleure gestion de notre patrimoine – 50 bâtiments – et la planification du développement des énergies renouvelables (ENR) avec un schéma directeur. Il était alors difficile de trouver des références de schéma directeur sur un territoire rural ! Les élus ont voulu quelque chose de concret. Donc, dans notre schéma directeur adopté en 2023, il y a des cartes communales de potentiel des ENR, que nous avons remis aux communes. Désormais, les communes se mobilisent à leur rythme. J’ai déjà rencontré 10 des 41 communes du territoire pour les accompagner dans la définition des zones d’accélération des ENR. Le portail du Cerema, j’en rêvais depuis dix ans. Il n’a pas alimenté notre schéma, mais nous avons mené une démarche similaire, beaucoup plus localisée et en lien avec nos élus locaux. C’est ainsi que nous avons été consultés par l’IGN (Ndlr : Institut national de l’information géographique et forestière) et le Cerema qui étaient demandeurs des besoins utilisateurs. »
Ce dossier se poursuit avec l’entretien croisé de Yélise Akol, chargée des relations partenariales sur la thématique énergie, et Terry Moreau, chargé de la mise en place du portail des énergies renouvelables.