Les 21 et 22 novembre, le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) organisait une conférence de comparaison internationale sur le bien-être à l’école. De quoi donner de l’inspiration au ministre de l’Éducation, Gabriel Attal, qui ouvrait ces deux journées de réflexion. « Je revendique le bien-être, le bonheur et l’épanouissement à l’école. Un lieu qui rend heureux et qui émancipe », a-t-il déclaré. Un bonheur qui est pour lui, « la condition première de la réussite du système éducatif ». Or notre système éducatif est à la peine. Selon un récent sondage de l’association Marion la Main tendue et de l’IFOP, 19 % des collégiens et des lycéens ont déjà été victimes de harcèlement scolaire, tandis que les conditions d’exercice et le ressenti du bien-être au travail se sont considérablement dégradés chez les enseignants, comme le montre la crise inédite du recrutement dans l’Éducation nationale. Les résultats 2023 de l’enquête internationale i-Best, qui a sondé en ligne les enseignants de 11 pays sur leur bien-être et leur santé, sont éloquents à ce sujet. 47% des enseignants français déclarent présenter des symptômes dépressifs et 72% se disent stressés.
Lien entre bien-être des élèves et apprentissage
Un mal qui concerne aussi les élèves. En Europe, en 2020, 35% des enfants de 13 ans et 40% des enfants de 15 ans déclarent se sentir mal et présentent des symptômes psychosomatiques plus d’une fois par an selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Europe, a rappelé Kirsi Pyhälto, professeure à l’université d’Helsinki (Finlande). Or le lien entre le bien-être des élèves et l’apprentissage à l’école est prouvé scientifiquement. « Le bien-être des élèves influence la réussite scolaire, réussite qui à son tour influence leur bien-être » a résumé Kirsi Pyhälto. La recherche a aussi prouvé qu’assurer la sécurité émotionnelle et physique des élèves, en favorisant les interactions sociales positives et en utilisant des méthodes d’enseignement collaboratives était bénéfique pour le bien-être, et induisait de meilleures performances scolaires, une motivation accrue à apprendre ainsi que des niveaux plus élevés de bonheur et d’estime de soi. Cela passe aussi par le renforcement du sentiment d’appartenance des élèves à l’école, ainsi que le développement de leurs compétences socio-émotionnelles. Des champs encore largement inexplorés par le système éducatif français, contrairement à la Finlande, exemplaire en matière de prévention.
Approche active et participative, centrée sur l’élève
Non seulement l’école y est gratuite, mais aussi les fournitures scolaires, la cantine, les soins dentaires et de santé, et le transport domicile-école si ce dernier est dangereux ou trop long. Ainsi, les services d’aides aux élèves – le recours à des psychologues, à des travailleurs sociaux, ou les soins de santé – sont intégrés dans les politiques éducatives et sont aussi entièrement gratuits. Car l’universitaire insiste sur ce point : pour que cela fonctionne, il faut que l’approche soit systémique, globale, et incluse dans le programme d’études, et l’organisation de l’école au fil du temps. « Les interventions visant à promouvoir le bien-être à l’école se sont révélées plus efficaces lorsqu’elles ont été intégrées dans les cours et qu’elles adoptent une approche active et participative de l’apprentissage centrée sur l’élève, comme les jeux de rôle, ou la participation à des discussions de groupe ou des jeux interactifs » a-t-elle encore témoigné. L’implication des enseignants est bien sûr cruciale. Cette approche est également plus efficace si elle est complétée par des interventions ciblées sur les élèves à risque. Enfin, Kirsi Pyhälto a beaucoup insisté sur la formation et l’accompagnement des enseignants, qui doivent avoir les compétences suffisantes pour s’engager dans des pratiques expérimentales et interactives.
Quand la ségrégation scolaire impacte le moral des enseignants
Ruochen Li, chef de projet à l’OCDE, s’est intéressé au lien entre le bien-être des enseignants et la ségrégation scolaire d’après les résultats des enquêtes Pisa et Talis, à partir de deux exemples européens : la Finlande et la Lettonie. En Lettonie, plus de la moitié des lycéens sont dans des établissements qui sélectionnent leurs élèves. En Finlande, 11% seulement des lycéens sont dans ce cas. Sans surprise, la satisfaction des enseignants au travail augmente avec la proportion d’élèves issus de familles privilégiées dans l’établissement. Inversement, les professeurs qui travaillent dans des établissements ségrégués éprouvent davantage de mal-être, d’autant plus s’ils sont inexpérimentés. Or en Finlande, seuls 20% des enseignants expérimentés sont affectés dans les 10% d’établissements les mieux classés, alors qu’en Lettonie, c’est plus de 30%. Finalement, le système finlandais génère beaucoup plus de satisfaction au travail pour les enseignants que le système letton. Il est donc possible, avec une plus grande mixité sociale des élèves et une meilleure répartition des enseignants dans les établissements, d’augmenter le bien-être enseignant.
Des indicateurs, oui, mais pas pour un pilotage local
La Belgique, quant à elle, s’est dotée en 2014, d’indicateurs multi dimensionnels du climat scolaire et du bien-être à l’école dans le cadre d’une vaste réforme de son système éducatif. Benoit Galand, de l’Université de Louvain est l’un des universitaires qui a travaillé à leur élaboration. Si ces indicateurs systémiques sont utiles au niveau national, il met en garde contre la tentation de les utiliser dans les établissements pour un pilotage local. « Ce n’est pas parce qu’on produit des indicateurs, qu’on va améliorer la situation. Les conditions doivent être réunies pour que les gens puissent agir » prévient-il. De plus, leur utilisation de manière judicieuse demande des compétences rarement rencontrées dans les établissements scolaires. « Si les équipes éducatives se focalisent sur la valeur chiffrée des indicateurs, le risque est de rester à des stratégies de surface pour se mettre en conformité avec une norme », prévient-il. De toute façon, au niveau des établissements, « le bien-être subjectif varie peu d’un établissement à l’autre. La majorité des personnes rapportent un niveau modéré à élevé de bien-être, mais quelques personnes se sentent très mal », constate-t-il. L’enjeu est donc davantage de dépister ces personnes, que de se comparer aux établissements alentours.
« La comparaison internationale est un outil. Il s’agit de s’en inspirer, pas d’imposer », a prévenu en préambule Agnès Florin, responsable organisation du Cnesco. De ces interventions on comprend tout de même que le bien-être à l’école ne se décrète pas, mais nécessite des changements systémiques qui impliquent de revoir dans ses fondements la conception de l’école. Un long chemin reste donc à parcourir à la France, qui se distingue par la verticalité de son enseignement, et sa propension à accentuer les inégalités sociales, qui la place parmi les pays à forte ségrégation sociale et scolaire.
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