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Longtemps attendue, l’ordonnance relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations, entrant principalement dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne, a été publiée ce matin au Journal Officiel. Décryptage des principales mesures adoptées.
Ma Gazette
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C’est sur le fondement de l’article 198 de la loi Elan (1) habilitant le gouvernement à prendre des mesures pour améliorer et renforcer la lutte contre l’habitat indigne qu’a été publiée, ce 17 septembre 2020, l’ordonnance relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations, dont les mesures seront applicables au 1er janvier 2021.
Pour mémoire, il existe aujourd’hui près de 20 polices administratives dans ce domaine, complexifiant l’action publique. L’ordonnance de ce jour – répondant aux trois objectifs de l’article 198 de la loi Elan -, crée une « nouvelle et unique police administrative spéciale de la sécurité et de la salubrité des immeubles », uniformise le déroulement des procédures engagées par la maire ou le préfet, renforce la capacité d’actions des maires à agir dans l’urgence et enfin prévoit de nouvelles conditions de transfert des pouvoirs de polices du maire au président de l’EPCI.
Sécurité et de la salubrité des immeubles : enfin une seule police spéciale !
Ce sont désormais aux articles L. 511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation qu’est définie cette nouvelle police unique d’intervention (et dont les conditions d’intervention seront précisées par décret à venir) sur la sécurité et la salubrité des immeubles. Ainsi, sur ce dernier point, et en 4 alinéas, sont désormais recensés les situations suivantes : les immeubles en situation de péril, les situations relatives aux équipements communs des immeubles à usage d’habitation, etc., et celles relatives à l’insalubrité conduite par le préfet (avec possibilité de substitution) ; les trois premières – concernant la sécurité des personnes – restent de la compétence du maire. Ce dernier voit également ses prérogatives d’intervention renforcée en cas de danger imminent (nouvel art. L. 511-19 du CCH).
Toutes les procédures relatives à la prise d’arrêtés, à la réalisation de travaux d’office, aux mesures à mettre en oeuvre, aux conditions d’astreintes sont complètement réécrites et repensées pour être uniforme dans leur application (art. L. 511-4 à L. 511-18 du CCH). A noter également que les dispositions pénales sont renforcées dans le cadre de refus délibéré et sans motif légitime d’exécuter les mesures prescrites par l’autorité publique.
L’échelon intercommunal confirmé
Même si l’ordonnance simplifie l’action du maire, il n’en demeure pas moins que ce dernier pourra transférer ses pouvoirs au président de l’EPCI, dans des conditions désormais « réformées » (art. L. 5211-9-2 du Code général des collectivités territoriales) : soit en début de mandat, soit « au fil de l’eau » précise le rapport de présentation de l’ordonnance, « notamment pour s’appuyer sur l’EPCI qui aura entre-temps développer un service et des compétences en matière de lutte contre l’habitat indigne ». Est enfin assoupli le cadre des délégations des pouvoirs des préfets au titre de la lutte contre l’habitat indigne aux présidents d’EPCI en modifiant l’article L. 301-5-1-1 du CCH.
Cette simplification longtemps attendue va devoir désormais être soumise à son application pratique sur le terrain et son évaluation dans la durée.
Je partage entièrement le message d’Insulae. Au motif de simplifier et de clarifier, le gouvernement fait – à l’instar de nombreux autres sujets – comme si rien ne lui avait jamais préexisté.
D’autre part, confronté à l’opérationnel et aux réalités de terrain, le rapport qui a présidé à cette ordonnance contient d’innombrables contre-vérités. A titre d’exemple, l’idée de vouloir élargir l’indicateur PPPI au parc vacant est un non-sens total, cet indicateur statistique résultant du croisement de la catégorie cadastrale du logement avec les revenus de l’occupant… !
De même, le développement sur la fragilité de la notion de l’irrémédiabilité des désordres, applicable tant dans le champ de l’insalubrité que du péril, alors qu’en réalité, la loi, la jurisprudence et la pratique avaient fini par s’aligner et reposaient in fine sur la qualité et le niveau technique de l’ingénierie, laquelle devait effectivement démontrer que le coût des mesures de réparation des désordres était supérieur au coût d’une reconstruction dans l’absolu – le coût moyen de reconstruction relevant de la compétence de l’Etat, à partir des éléments fournis par les bailleurs sociaux dans le département.
Je pourrais aussi évoquer les développements sur l’absence d’outils d’objectivation technique des désordres, alors que la grille nationale d’évaluation de l’insalubrité constituait un outil technique inchangé depuis 2005, dont la pertinence et l’efficacité n’était plus à démontrer dès lors qu’elle était correctement utilisée (et, consécutivement, que les agents qui s’en servaient étaient correctement formés).
Dernier point dans ce rapport : la fameuse notion « d’habitabilité », défendue par l’auteur du rapport (et qui heureusement n’aura pas été reprise dans l’ordonnance), au-delà du risque qu’elle représentait en termes de confusion avec un autre outil opérationnel de l’aménagement qu’est la restauration immobilière, est à mettre en relation avec le décret de 2002 relatif aux critères de décence, qui avait le mérite d’être à la fois synthétique, complet et parfaitement clair. Mais qu’à cela ne tienne, il fallait « tout changer »… même ce qui fonctionne, dans ce même élan de frénésie législative qui caractérise l’actuel gouvernement.
Pour ma part, en tant que consultant expert sur l’habitat privé et l’aménagement en quartier ancien (depuis 15 ans), et formateur au sein du réseau des EPL et de la SCET, je constate que cette réforme vise surtout à désengager toujours un peu plus l’état, au profit d’un transfert de compétence vers les EPCI, qui comme bien souvent ne s’accompagne pas (plus) d’un transfert consécutif de moyens. Du moins, rien n’est prévu en ce sens par l’ordonnance, ni par la loi ELAN.
Rappelons en outre que l’enjeu majeur dans le domaine de la LHI était la formation des acteurs de terrain (via notamment le PNLHI), leur mise en réseau (via notamment les PDLHI), et surtout, bien entendu (car c’est toujours le nerf de la guerre), les moyens humains d’une part, et les moyens dédiés à l’ingénierie technique (laquelle est le moyen exclusif de la qualification des pathologies bâties) d’autre part. Et, toujours dans le rapport précité, aucun mot sur le PNLHI, sur les PDLHI… rien sur les acteurs de terrain qui depuis la fonte drastique des moyens qui leur étaient accordés continuaient tout de même, au prix de leur investissement personnel, à porter à bout de bras la mise en œuvre de ces politiques publiques cruciales pour la justice sociale, la santé et la sécurité des occupants.
Or aujourd’hui, la loi nous imposerait de passer par un expert nommé par le TA. Au-delà de l’encombrement induit pour cette juridiction, cela pose aussi la question de l’incertitude quant aux compétences réelles des experts – qui rejoint à la fois la question de la formation des acteurs évoquée plus haut, mais aussi et surtout qui renvoie au rôle clé de la collectivité dans son rôle de maître d’ouvrage et d’autorité compétente : la problématisation du diagnostic (soit la définition des besoins) et le choix de l’expert (il n’est pas simple de trouver des architectes ou ingénieurs structure formés aux doubles problématiques du bâti ancien et de la réglementation sanitaire).
Quelques points positifs sont cependant à noter, comme le fait notamment d’avoir « refondu » la problématique du saturnisme dans la procédure plus englobante l’insalubrité, ou encore le fait d’avoir introduit de façon claire dans la loi la justification de la prescription de démolition ou de l’interdiction définitive d’habiter, lesquelles reposent toutes deux sur… la notion d’irrémédiabilité (comme c’était déjà le cas avant de façon implicite mais évidente et acquise par la jurisprudence). En creux, on revient toujours au même impératif pour l’ingénierie : faire la démonstration technique et irréfutable que le coût de la réparation des désordres générant des risques pour la santé ou la sécurité des personnes est supérieur au coût de la reconstruction.
In fine, ce texte qui consiste principalement en une réécriture de l’existant d’une part et en un désengagement des services de l’état d’autre part, vient mettre un sérieux coup d’arrêt à l’organisation territoriale des services concernés, qui face au manque de moyens n’ont la plupart du temps jamais renoncé à agir. Rappelons tout de même que depuis les années 90, le travail d’harmonisation, de renforcement et de mise en cohérence des procédures de lutte contre l’habitat indigne avait véritablement produit des résultats.
L’enjeu, au fond, n’était pas de revenir sur le droit, qui était certes complexe (mais pas illisible), mais plutôt sur les moyens de mettre le droit en œuvre. Ce texte s’inscrit donc dans le prolongement du diagnostic erroné formulé à la suite du drame marseillais, où ce n’était pas le droit qui devait être mis en accusation, mais les moyens humains et financiers accordés à sa mise en œuvre.
Et le tout, bien entendu, sans débat parlementaire, et par ordonnance.
PS: si vous lisez mon message INSULAE,je souhaiterais vous proposer d’écrire collectivement (et avec d’autres acteurs bien sûr), une tribune à ce sujet… même si la « bataille » est d’ores et déjà perdue. Je laisse mon mail à toute fin utile : geoffroy.alimondo[arobase]gmail.com