Une meilleure reconnaissance et traçabilité des matières recyclées pourraient-elles faciliter une économie circulaire ? La Fabrique Ecologique propose de faire évoluer la législation des déchets en introduisant le terme de « recyclat ».
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En Europe comme à l’échelle nationale, en dehors des statuts juridiques de « déchet » et de « produit », point d’entre-deux. Du coup, les matières premières secondaires restent des déchets, quelle que soit leur qualité et la complexité du procédé industriel de valorisation par lequel elles sont passées.
Une définition juridique stable – Cette étiquette de matériau de seconde main leur pose des problèmes d’image, chez les producteurs et consommateurs, en dehors même des freins techniques et économiques. Le laboratoire d’idées la Fabrique Ecologique, fait un pas de côté par rapport à la démarche des recycleurs, dans une note consacrée aux « recyclats ». « Le milieu des recycleurs veut sortir du statut de « déchet » et acquérir celui de « produit » pour ses matières recyclées » explique Dorothée Courilleau, présidente du groupe de travail. Avocate spécialiste du droit de l’environnement, du cabinet Gossement Avocats, celle-ci fait le constat de la complexité de cette procédure – issue de la directive européenne de 2008 sur les déchets – qui n’a d’ailleurs jamais abouti concrètement en France.
[Lire à ce sujet « Bois d’emballage : une sortie très attendue du statut de déchet » et « Papier recyclé et statut de déchet : to be or not to be« ]
La première proposition de la Fabrique Ecologique est d’ « offrir une définition juridique stable et acceptée de la matière première issue du recyclage » sous l’appellation « recyclat », un terme plus positif que « matière première secondaire » et qui a son équivalent en anglais et en allemand. Le but n’est « pas la création d’un statut juridique spécifique, mais des règles juridiques adaptées », précise Géraud Guibert, président de l’association.
Traçabilité complète et contrôle qualité – Ce concept de recyclat, dont la définition porterait plus sur les qualités de la matière que sur son procédé de transformation, serait assorti d’une traçabilité précise et d’un contrôle qualité, permettant de faire entrer, cette fois très concrètement, ces matériaux dans l’économie circulaire. Les registres des déchets actuels ne font, en effet, pas de distinction entre ce qui est valorisable ou non. Or certains plastiques hétérogènes, notamment dans les emballages, sont complexes à recycler. « Nous voulons toucher les producteurs dans le cadre de leur responsabilité élargie, afin qu’ils fournissent des informations pertinentes sur le recyclage du produit dès le cycle de production » précise Dorothée Courilleau.
La société de transport maritime Maersk a bien compris l’avantage économique qu’elle pouvait tirer de cette pratique. Elle documente les matériaux utilisés dans ses nouveaux porte-conteneurs « dont 60 000 tonnes de métal, leur localisation ainsi que la procédure de démantèlement et de recyclage » raconte Rémy le Moigne, auteur de Economie Circulaire, paru en février 2014 chez Dunod. Cela permet une meilleure valorisation qu’actuellement, quand différentes qualités de métal recyclées ensemble produisent un métal de qualité inférieure.
Cette traçabilité serait suivie tout le long du cycle de vie, et assortie de contrôles, en sortie de traitement, permettant de garantir la qualité du matériau. Le recyclat pourrait avoir une normalisation spécifique, moins stricte que le produit, tout en gardant les normes environnementales et sanitaires du déchet, propose en substance la note de la Fabrique Ecologique. En ligne depuis le 14 avril, elle vise à être débattue par le plus large cercle des parties prenantes, afin d’être amendée et portée devant les pouvoirs publics en septembre.
Besoin de leviers financiers – Partie prenante de poids, l’association Amorce, qui réunit collectivités et entreprises de gestion des déchets, a apporté sa pierre à ce travail. Mais Nicolas Garnier, son délégué général, regrette que le think tank n’attaque pas plus frontalement la responsabilité des producteurs, ainsi que les problèmes concrets à la création de filières d’une économie circulaire. « Nous avons besoins de leviers financiers pour lancer des filières (de matériaux recyclés) avant que celles-ci ne rapportent. Au lieu de cela, on nous taxe aujourd’hui davantage… » .
La Fabrique Ecologique aborde la problématique des filières à créer dans ses recommandations et préconise le montage de pôles de compétitivité, sur le modèle du contrat de filière du Cosei (Comité stratégique de filière des éco-industries). Le but est de construire une économie circulaire, où les déchets deviennent ressources, entre divers acteurs d’un territoire.
Les administrations sont d’ailleurs appelées à montrer l’exemple, en intégrant le critère du matériau recyclé dans leurs appels d’offre. L’enjeu économique et écologique l’est aussi en termes d’emplois. Le démantèlement des objets complexes étant bien souvent exporté, Amorce souligne l’importance de « garder cette ressource en France et les emplois qui vont avec ».