L’urgence est absente du dictionnaire du moyen Français : seul y figure l’adjectif « urgent », employé dans le langage de la médecine pour désigner la situation dont il faut s’occuper sans retard. Sous peine de mort. Le rapport au temps apparaît ; l’issue fatale aussi. Quand le substantif féminin surgit au milieu du XVIIIe siècle, il reste cantonné à ce domaine pour s’institutionnaliser, dans la seconde moitié du XXe siècle, en milieu hospitalier et au pluriel avec le service des urgences.
État d’urgence, procédure d’urgence, mesures d’urgence, urgence sociale… L’urgence sature la société contemporaine. Convoquée en politique et en économie, pour la justice ou l’environnement, dans le champ social ou sanitaire, etc., elle est devenue une « norme sociale », explique Christophe Bouton, « associée à une menace réelle ou imaginaire ». Zadi Laïki relève qu’elle « s’impose comme la modalité temporelle ordinaire de l’action en général ».
Elle introduit une culture de l’immédiateté, source « de surcharge du présent » et de perte de repères, tant dans le monde du travail que dans la vie personnelle. Soulignant la « mythologie de l’urgentiste » capable de sauver dans l’instant, Raymond Bénévent alerte sur le danger de centrer les pratiques sur l’urgence qui conduit à évincer la question primaire. À convoquer l’urgence pour des situations installées depuis longtemps, il y aurait à la fois un signal et une occultation de l’absence de toute pensée antécédente.
Dans ces conditions, la double injonction d’action immédiate et d’urgence insulte la réflexion et la prévision. Or, pour Kenneth Helt, « c’est quand l’homme voit au-delà de l’urgence qu’il bâtit et sort de la barbarie ».
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