Tribune de la Fédération du service aux particuliers (FESP), de la Fédération française des services à la personne et de proximité (Fédésap), et du collectif Privé De Grandir
Face aux évolutions du projet de loi, notamment suite à son examen par la commission des affaires sociales du Sénat en mars dernier, et afin d’éviter que les discriminations à l’égard des entreprises ne se réitèrent, le collectif Privé de Grandir, regroupant plus de 3.200 structures entrepreneuriales et soutenu par les deux fédérations professionnelles du secteur, la Fédération du service aux particuliers (FESP) et la Fédération française des services à la personne et de proximité (Fédésap), a vu le jour. Comme les fédérations qui admettent que puisse avoir lieu une réflexion sur une fusion des deux régimes, le collectif a soutenu une approche constructive mais déterminée pour que soient reconnus les droits des entreprises agréées. Il l’a fait savoir à la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes qui, pour autant, n’en a pas tenu compte allant même jusqu’à déposer onze amendements allant à l’encontre des propositions des entreprises.
Une charge de travail importante pour les services des collectivités
Le projet de loi a, entre autres conséquences, celle de faire peser le poids du dispositif sur le budget départemental. Le gouvernement lui-même a reconnu, lors d’un amendement adopté en première lecture au Sénat(1), que la suppression de l’agrément va « non seulement entraîner une charge de travail importante pour les services des collectivités au moment de son entrée en vigueur mais aussi vraisemblablement des dépenses supplémentaires ». En considérant la base des 82 millions d’heures annuelles prestées par les structures agréées(2), et alors que le tarif accordé par les départements aux structures autorisées est, en moyenne nationale, supérieur de 3€ par heures de service presté par rapport au tarif accordé aux structures agréées(3), le surcoût généré par un passage des agréées en autorisées serait pour les conseils départementaux de 287 millions d’euros par an dès la première année d’application de la loi. Il n’est pas prévu de compensation par l’État de ce surcoût(4).
Une cause objective de discrimination contraire aux droits national et communautaire
Le maintien d’une différenciation des tarifs entre structures pour un même service ne peut en effet être une solution, étant constitutif d’une cause objective de discrimination contraire aux droits national et communautaire susceptible d’aboutir à une condamnation de la France par la Commission européenne. Cette mesure du projet de loi impacte en outre les structures associatives agréées à 53 %(5) et près de 100% des entreprises. Par ailleurs, mise à part l’expérimentation réalisée avec une petite minorité de départements et sans structures agréées entrepreneuriales, cette disposition du projet de loi n’a fait l’objet d’aucune concertation partagée avec l’ensemble des départements. Que feront les dix-huit départements n’ayant recours jusqu’alors exclusivement qu’au régime de l’agrément délivré par les services déconcentrés de l’État, ou ayant fait le choix depuis plusieurs années de ne pas autoriser ?
Le système proposé conduirait à fractionner un peu plus les pratiques
De surcroît, le dispositif proposé, loin de simplifier le système, le complexifie en supprimant pour l’aide à domicile, sur les deux régimes actuels (agrément et autorisation), le seul disposant d’un cahier des charges national qui assure une homogénéité de qualité sur le territoire depuis plusieurs années. Le système proposé conduirait en réalité à fractionner un peu plus les pratiques en laissa aux cent-deux conseils départementaux autant de possibilités d’appréciation du système à mettre en place : recours ou non à une Convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens (CPOM), critères d’autorisation au-delà des dispositions d’un cahier des charges national, critères d’habilitation, etc. Chaque Conseil départemental développera des règles et des pratiques qui lui seront propres complexifiant d’autant les démarches des structures. Celles-ci ne seront plus en mesure de réaliser des gains de gestion par la reproductivité des modèles, des méthodes et des process de qualité.
Le projet de loi supprime les garanties d’équité de traitement
En outre, un tel système en donnant toutes les fonctions d’autorisation, de financement, de contractualisation et de contrôle aux seuls Conseils départementaux contrevient aux principes d’une saine séparation des rôles entre les autorités publiques. Cette confusion des rôles n’est pas saine et ne manquerait pas de renforcer les pratiques discriminatoires pourtant maintes fois dénoncées dans des rapports publics (rapport Igas-IGF 2009, 2010,2011). Ainsi, le projet de loi supprime les garanties d’équité de traitement sur l’ensemble du territoire, d’une part entre les structures intervenantes, d’autre part entre les personnes âgées quel que soit leur département de résidence, responsabilité qui relève du rôle de l’État. Cet article présente une fragilité juridique en renforçant un dispositif qui fait aujourd’hui l’objet de plaintes en auprès de la Commission européenne actuellement en cours d’instruction notamment au regard des principes garantis par la directive « services » de 2006 et notamment de liberté d’établissement et de libre prestation de services, alors même que les services d’aide domicile rentre dans le champ de cette directive. Pour rappel, les plaintes déposées par certains représentants du secteur auprès de la Commission européenne ne dénoncent pas le nombre de régimes (agrément/autorisation) mais les pratiques exercées par les Conseils départementaux à l’égard des acteurs entrepreneuriaux agréés.
CPOM : de nombreuses questions en suspend
Le projet de loi prévoit également la possibilité pour les conseils départementaux de mettre en place un CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens). Néanmoins, le projet de loi ne garantit pas l’accès au CPOM des structures agréées qui seraient devenues autorisées. Le cahier des charges national prévu par le projet de loi ne concerne pas le CPOM. En outre, alors qu’un avis motivé en cas de refus du département serait nécessaire pour garantir la transparence des décisions prises et la bonne information des entreprises candidates, le projet de loi passe sous silence cette demande légitime des entreprises et perpétue, dans sa rédaction actuelle, l’opacité des décisions des collectivités. Pour les entreprises, comme pour bons nombres de parlementaires intervenus lors d’un long débat sur les articles 31, 32 bis et 33 du projet de loi, le texte reste trop flou et imprécis. Par exemple sur la seule question de la gestion des CPOM, de nombreuses questions restent sans réponse, telles :
- le nombre de CPOM pouvant être mis en œuvre par les conseils départementaux ?
- leurs critères, sur quelle base de cahier des charges ?
- le nombre de structures pouvant ou non relever d’un même CPOM ?
- la capacité ou non des structures engagées dans un CPOM à développer une activité en dehors de celui-ci ?
- etc.
Cahier des charges : défaire pour refaire !
En supprimant le régime de l’agrément, la rédaction actuelle du projet de loi supprime de fait le cahier des charges national inhérent à ce régime comportant soixante-et-onze obligations qualitatives. L’amendement gouvernemental prévoyant l’opposabilité à tous les services d’aide et d’accompagnement à domicile, d’un nouveau cahier des charges national a été adopté. Ce cahier des charges n’a toujours pas été rédigé alors que la loi devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2016. Ainsi, Laurence Rossignol a-t-elle annoncé qu’une réunion de concertation avec l’ensemble des représentants du secteur devrait avoir lieu le 6 octobre prochain afin de rédiger ce cahier des charges national.
En supprimant l’agrément délivré par les services de l’État, le projet de loi transmet cette fonction au seul Conseil départemental et ajoute ainsi, une fonction supplémentaire exclusive à ce dernier. Ainsi, les Conseils départementaux sont les seules entités publiques à cumuler toutes les fonctions encadrant le secteur : autorisation, habilitation, financement majeur de l’allocation versée aux « clients » des structures qu’il a autorisées et/ou habilité, contrôle de ces mêmes structures, éventuels financements directs de celles-ci; etc. Ce cumul exclusif ne permettra pas de garantir une saine gestion des relations entre les acteurs et le Conseil départemental. En outre, elle favoriserait l’opacité des procédures d’accès au périmètre et des suivis des acteurs.
Autorisation : le manque de transparence
Bien que les députés aient voté la réduction du délai de réponse des Conseils départementaux de six à trois mois, l’absence de réponse de l’administration à l’issue de ce délai est constitutive d’un rejet ce qui organise l’opacité des décisions.
En outre, un amendement prévoyant l’obligation pour les Conseils départementaux de motiver leurs décisions a été adopté mais ne garantit pas une motivation explicite en toutes circonstances. En effet, il est prévu que le refus puisse être :
- explicite, auquel cas le président du Conseil départemental doit motiver directement sa décision ;
- implicite, qui équivaut à une absence de réponse de l’administration. C’est alors au service de demander les raisons de ce refus.
Pourtant, le pragmatisme commanderait de motiver explicitement toutes les demandes d’autorisation.
Par ailleurs, l’article 32 bis du projet de loi dispose que les structures agréées basculeront automatiquement vers un régime d’autorisation mais que cette autorisation ne vaudra pas habilitation à prester de l’aide sociale (APA, PCH).
Enfin, un autre amendement gouvernemental prévoit la mise en place d’un appel à projet à compter de 2022. Ainsi, cet appel va venir fermer le marché au détriment de la qualité du service rendu.
La contrainte de la « zone d’intervention »
Un autre amendement gouvernemental est venu apporter une nouvelle définition de la notion de capacité. En effet, pour les structures autorisées, la capacité qui était exprimée en volume horaire d’intervention est désormais définie par une zone d’intervention pour tous les services d’aide et d’accompagnement à domicile à compter de la date de publication de la loi. Les services anciennement agréés basculant automatiquement dans le régime de l’autorisation conservent la zone d’intervention précédemment définie par leur agrément. Néanmoins, pour les structures demandant l’autorisation, ces dernières pourront voir leur demande rejetée au motif qu’il y a déjà assez d’acteurs présents sur la zone. Cette zone d’intervention ne vient pas favoriser la qualité de service pour les bénéficiaires mais, au contraire, a pour conséquence de favoriser les acteurs déjà autorisés au 1er janvier 2016.
Une restriction pour la branche aide à domicile famille
Le gouvernement a également introduit un amendement à l’article 33 du projet de loi qui est un cavalier. En effet, il apparaît dépourvu de tout lien avec les dispositions figurant dans le projet de loi portant sur l’adaptation de la société au vieillissement. En modifiant des dispositions relatives à l’aide sociale à l’enfance ainsi qu’aux activités relevant de la branche famille de la sécurité sociale et encadrées par les circulaires de la Caisse nationale d’allocation familiale (Cnaf), le présent amendement ne présente aucun lien, ni direct ni indirect avec l’organisation des politiques relatives à la prise en charge des situations de dépendances des personnes handicapées ou âgées. Le projet de loi ne vise en effet que le cadre de l’agrément délivré au titre des services réalisés auprès des personnes en situation de dépendances ou de handicap, relevant de l’Allocation Personnalisée Autonomie (APA) ou de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH).
Des nécessités vitales pour les entreprises
Afin de garantir la meilleure qualité de réalisation des services pour les publics fragiles et une égalité entre les acteurs, le collectif demande notamment l’introduction des points suivants dans le projet de loi :
- la mise en place d’une expérimentation : en effet, en rendant applicables les dispositions de l’article 32 bis au 1er janvier 2016, le projet de loi établit un délai extrêmement court inapproprié aux contraintes des Conseils départementaux autant qu’à celles des structures agréées. L’impact budgétaire de cette mesure pour les Conseils départementaux a été chiffré, par ailleurs, à plus de 287 millions d’euros de dépenses supplémentaire par an dès la première année d’application de la loi(6). Il est nécessaire d’évaluer, au préalable, l’impact financier mais aussi organisationnel pour les Conseils départementaux que ferait peser le basculement du secteur sous régime d’autorisation. L’application de cet article doit être subordonnée à une expérimentation comme cela avait été voté à l’issue du débat au Sénat ;
- l’introduction de l’état dans la procédure d’autorisation : la présence de l’état via son représentant le préfet, viserait à garantir une meilleure transparence et égalité de traitement pour les acteurs ;
- une obligation explicite pour les Conseils départementaux de motiver leurs refus ;
- l’absence de réponse des Conseils départementaux vaut acceptation en cas de demande d’autorisation.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Amendement n°162 présenté par le gouvernement, 12 mars 2015 Retour au texte
Note 02 Ministère de l’Économie, des Finances et du Numérique, DGE, 2014 Retour au texte
Note 03 Un tarif de 2€ supplémentaires en moyenne en 2010, passé à 3€ depuis. Igas, Mission relative aux questions de tarification et de solvabilisation des services d’aide à domicile des publics fragiles, 2010, § 130 Retour au texte
Note 04 Hors frais de personnel, étude Oliver Wyman, juin 2015 Retour au texte
Note 05 Ministère de l’Économie, des Finances et du Numérique, DGE, Charte nationale qualité, bilan 2014, avril 2015 Retour au texte
Note 06 Étude Olivier Wyman, Les services à la personne : évaluation des initiatives réglementaires, juin 2015 Retour au texte