En introduction de ce nouveau plan gouvernemental, vous écrivez qu’il « faut aller au-devant de ceux qui ne demandent rien ». Est-ce la philosophie générale de ce plan ?
La caractéristique majeure de ce plan est de maintenir la prévention pour l’ensemble de la population. Mais nous retenons, effectivement, plusieurs priorités. Les jeunes, tout d’abord, pour qui la prévention doit être la plus précoce possible. Les femmes, ensuite : je pense aux usagères de drogues, qui ne fréquentent pas toujours les dispositifs spécialisés, compte tenu d’une stigmatisation importante, et à qui nous voulons proposer des horaires réservés ou des prises en charges particulières ; je pense aussi aux femmes enceintes qui consultent leur gynécologue, ou leur obstétricien, qui pourrait en profiter pour faire le point sur leurs conduites addictives.
Parmi ceux qui ne demandent rien, il y aussi toutes les personnes en difficultés sociales, qui sont éloignées des dispositifs spécialisés, et vers qui il faut aller. Je pense enfin à chacun de nous qui, lorsqu’il consulte son généraliste, pourrait se voir proposer un questionnaire bref, sur ses consommations de tabac et d’alcool. Cela s’avère efficace pour modérer les usages excessifs. Ce principe du « repérage précoce et de l’intervention brève » (RPIB) traverse tout le plan. Nous souhaitons l’élargir à toutes les conduites addictives, et y former aussi les professionnels du social et du médico-social.
De manière générale, vous misez fortement sur tous les personnels de la santé, du social et du médico-social…
Bien sûr. Nous les avons d’ailleurs auditionnés pour préparer ce plan, et je vais moi-même souvent sur le terrain. Nous avons besoin de tous ces professionnels pour prendre la question à bras le corps, et de les faire travailler ensemble.
Vous appelez même à un « partage des cultures professionnelles entre acteurs de la prévention ». Comment y parvenir ?
D’abord grâce à la recherche. Il faut pouvoir faire le pont entre les recherches, fondamentales et cliniques, et leur mise en oeuvre. Cela passe aussi par la formation. En 2014 nous allons travailler à un dispositif national qui permettra de sensibiliser aux conduites addictives tous les professionnels volontaires.
Nous devons nous appuyer sur des programmes de prévention scientifiquement validés au plan international. Nous savons maintenant que l’information ne suffit pas, et qu’elle peut même avoir pour effet pervers de susciter la curiosité… Une méthode plus efficace est de développer les compétences psychosociales de chacun face aux conduites addictives.
Il est aussi prévu de renforcer la prévention dans le monde du travail. Cela concerne également les professionnels de la santé, du médico-social, et même des dispositifs spécialisés ?
Dans un contexte de culture de la performance, de situation économique difficile, et de mal-être au travail, la question se pose dans tous les milieux professionnels. Le précédent plan avait déjà engagé des actions dans le secteur privé. Il s’agit de poursuivre ce travail, et de l’étendre aux trois fonctions publiques – hospitalière, territoriale, et d’Etat. Nous souhaitons aussi former les médecins du travail à la pratique du RPIB, non pas pour sanctionner, mais pour qu’ils puissent intervenir en amont face aux conduites addictives, dans la confidentialité.
Le plan prévoit aussi d’étendre le champ de la réduction des risques, qui avait été conçue à l’origine pour prévenir les contaminations chez les injecteurs de drogues. En incluant la cigarette électronique, par exemple ?
Il s’agit d’élargir la réduction des risques à toutes les conduites addictives. Par exemple aux « alcoolisations ponctuelles importantes » en milieu festif, en reprenant les actions déjà menées dans certaines villes étudiantes, avec des messages tels que « buvez de l’eau si vous êtes ivre », ou encore « évitez le coma éthylique »… Nous allons rédiger un référentiel pour encadrer ce type de réduction des risques. En revanche, nous n’abordons la cigarette électronique que sous l’angle de la recherche. Car nous en savons encore trop peu sur son intérêt et sur ses risques.
Pour prévenir le tabagisme, vous misez notamment sur une « hausse régulière des prix de vente ». Ne faudrait-il pas plutôt une augmentation brutale pour espérer dissuader ?
Cela a déjà été fait, et je ne suis pas sûre que cela soit suffisant. Mieux vaut actionner tous les leviers, et notamment ceux de l‘accompagnement. Et puis le président de la République l’a dit : il faut faire une pause sur les taxes…
En matière de soins, quelles sont les principales nouveautés de ce plan ?
Je citerais par exemple le développement des équipes de liaison et de soins en addictologie (Elsa), qui apportent un appui extrêmement important dans les établissements de santé, par exemple pour sensibiliser les urgentistes à la problématique du coma éthylique. Nous comptons faire intervenir ces Elsa jusque dans les prisons.
Sur le versant de la répression, en revanche, ce plan ne vise, pour l’essentiel, qu’à « mieux appliquer la loi »… Y compris celle du 31 décembre 1970, qui prévoit la détention pour un simple usage de stupéfiants ?
C’est une mauvaise question. Mieux appliquer la loi, cela signifie par exemple faire respecter l’interdiction de la vente de tabac et d’alcool aux mineurs, en s’en donnant les moyens. Cela signifie aussi poursuivre les trafiquants sans relâche, et notamment en profitant de notre « fonds de concours » alimenté par les saisies effectuées sur leurs avoirs criminels – à hauteur de 20 millions d’euros en 2012 !…
Concernant la loi de 1970, il s’agit de mieux l’appliquer dans toutes ses composantes, aussi bien judiciaires que sanitaires. En réalité, au 1er septembre, il n’y avait qu’une petite centaine d’usagers incarcérés en France. Tous les services régaliens sont impliqués pour poser l’interdit, et pour l’appliquer de manière pragmatique. Au fond, que veut-on pour un simple usager : le mettre en prison, ou faire en sorte qu’il ne consomme plus ?
Pour mettre au point ce plan gouvernemental, comment ont collaboré les ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Santé ?
La collaboration a été parfaite, avec tous les ministères. Lorsque j’étais membre du cabinet de Lionel Jospin, alors Premier ministre, j’ai connu une tout autre ambiance sur la question, entre les ministères de la Santé, de l’Intérieur, ou de l’Education nationale… Je crois que, depuis, tout le monde a pris conscience du problème. Voilà pourquoi la collaboration a été parfaite.
Finalement, comment ce plan se démarque-t-il du précédent, adopté en 2008 par le gouvernement Fillon ?
Le précédent visait, avant tout, à gérer les conséquences des addictions. Notre objectif est de tout comprendre, et de tout faire, pour éviter d’entrer dans les consommations.
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