A quatre ans, un enfant pauvre a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant issu d’un milieu favorisé. Or la période de la petite enfance est cruciale dans le développement cérébral de l’enfant. C’est dire si, dès l’âge de trois ans, les inégalités sociales face au développement cognitif et linguistique sont déjà fortes, s’insurge la Fondation Terra Nova dans un rapport publié le 13 janvier et intitulé « La lutte contre les inégalités commence dans les crèches ».
Dans ce rapport présidé par Olivier Noblecourt, adjoint au maire de Grenoble, chargé de l’action sociale et familiale, les auteurs saluent l’effort annoncé par le gouvernement de créer 100 000 nouvelles solutions d’accueil, mais pour eux, cela ne suffit pas. La politique petite enfance doit « autant viser l’égalité des chances que l’appui aux couples qui travaillent ; on doit y parler autant d’éducation que de modes de garde », résume Terra Nova.
Stimulation dès le plus jeune âge
Pour que les crèches soient « à haute qualité éducative », Terra Nova recommande aux gestionnaires de s’inspirer de divers programmes nord-américains, comme Carolina Abecedarian, qui stimule les enfants dès leur plus jeune âge, et qui a fait ses preuves Outre-Atlantique en matière de « retour sur investissement en capital humain ». Mais Terra Nova insiste sur deux points :
- le recours à une évaluation externe rigoureuse faisant appel à des scientifiques ;
- et l’utilisation de méthodes et outils précis qui permettent leur réplication dans d’autres territoires.
Parler Bambin répond à ces deux conditions. Développée en 2009 par la ville de Grenoble, cette méthode met l’accent sur la stimulation du langage. Evaluée par des chercheurs qui ont conclu à son effet bénéfique pour les enfants issus de milieux défavorisés, Parler Bambin, a ensuite pu être adopté par d’autres villes françaises (Lille, Rennes).
Les enfants pauvres sous-représentés en crèche
Si la France compte 20% d’enfants pauvres, seulement 8% sont accueillis en crèche. Terra Nova estime que 30 000 places supplémentaires devraient être créées pour que la part d’enfants pauvres en crèche soit la même que dans la population française. Pour augmenter cette proportion, le rapport émet plusieurs recommandations.
Pour les communes :
- Créer prioritairement des places nouvelles dans les quartiers les moins favorisés, même si les habitants n’en expriment pas spontanément la demande « quitte à aller au devant des familles pour les sensibiliser à l’intérêt de cette offre ». Car la proximité est un élément déterminant pour les familles vulnérables, moins mobiles que les autres.
- Transférer la compétence petite enfance aux intercommunalités, seule façon pour les plus petites communes, de se voir équiper d’une crèche. « Une priorité des intercommunalités gestionnaires de crèches devrait être d’équiper les zones du territoire intercommunal les moins dotées et les plus pauvres », écrivent les auteurs.
- Instaurer des critères préférentiels d’accès aux crèches pour les familles les moins favorisées, tout en proposant une offre de garde diversifiée et abondante pour les familles non prioritaires.
Pour les conseils généraux : Même si cela ne fait pas partie de leurs compétences obligatoires, Terra Nova estime que les conseils généraux devraient faire du co-financement des places en crèche une de leurs priorités. De fait, ils peuvent contribuer à lutter contre les inégalités :
- En modulant leur financement au profit des zones les moins favorisées
- En conditionnant leur financement à des critères d’accueil en crèche d’enfants défavorisés
Pour l’Etat et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) :
- Développer des programmes de recherche scientifique tournés vers l’amélioration du contenu de l’accueil en crèche.
- Financer des appels à projets nationaux sur la promotion de l’égalité des chances dès la petite enfance, assortis d’une évaluation scientifique externe.
- Moduler le niveau de la prestation de service unique (PSU) selon la proportion d’enfants pauvres accueillis. « L’accueil d’un taux élevé d’enfants de familles défa-vorisées peut rendre plus complexe la gestion d’une crèche et entraîner certains surcoûts indirects (réduction de la durée moyenne de l’accueil, besoin d’accompagnement accru des familles, etc.) », précisent les rapporteurs, qui demandent une majoration des financements de la CNAF pour les établissements qui accueillent le plus ces familles.
Des recommandations que la fondation a chiffrées : pour accueillir en crèche 25% d’enfants issus de familles défavorisées d’ici à 10 ans, dont le nombre passerait ainsi de 20 000 à 120 000, il en couterait à terme 1,1 milliards d’euros par an de dépenses de fonctionnement supplémentaires.
Cet article est en relation avec le dossier
Thèmes abordés