RetoquĂ©es dans la loi ĂgalitĂ© et citoyennetĂ© de 2017, les dispositions relatives Ă lâachat de produits «âŻdurablesâŻÂ» en restauration collective font Ă nouveau leur apparition dans le projet de loi pour lâĂ©quilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable.
Analyses de cycle de vie
Si lâarticle L.640-2 du code rural prĂ©cise ce quâon entend par «âŻproduits sous signe de qualitĂ©âŻÂ» ou «âŻmentions valorisantesâŻÂ», la question du coĂ»t du cycle de vie est plus complexe Ă apprĂ©hender. Le cycle de vie dâun produit alimentaire dĂ©signe lâensemble des Ă©tapes de la vie du produitâ : production des matiĂšres premiĂšres agricoles, transformation, conditionnement, transport, stockage, utilisation,âŻetc.
Chacune de ces Ă©tapes prĂ©sente un impact plus ou moins important sur lâenvironnement. Pour mesurer cet impact, on recourt gĂ©nĂ©ralement Ă des analyses du cycle de vie Ă©galement appelĂ©es ACV. Dans lâesprit du projet de loi, il devrait donc ĂȘtre demandĂ© aux acheteurs de privilĂ©gier les produits ayant fait la preuve dâun moindre impact environnemental comparativement Ă dâautres produits similaires.
Mais les ACV sont encore peu répandues dans le domaine agroalimentaire et peuvent se révéler discriminantes pour les producteurs locaux et les TPE-PME qui ne seraient pas en capacité de les fournir.
Lâacheteur pourrait nĂ©anmoins, sans rentrer dans le formalisme de lâACV, demander aux fournisseurs un certain nombre de renseignements portant sur les modes de production agricole, les Ă©missions de gaz Ă effet de serre liĂ©es au transport des marchandises, ou encore la nature des matĂ©riaux dâemballage.
Soulignons que les obligations relatives Ă ce critĂšre «âŻcoĂ»t du cycle de vieâŻÂ» pourraient ĂȘtre assouplies dans le texte dĂ©finitif. Les dĂ©putĂ©s ont en effet adoptĂ© le 28âŻmars un amendement qui prĂ©voit que les acheteurs pourront prendre «âŻprogressivement en compte le coĂ»t du cycle de vie du produitâŻÂ» (1).
Pas de rĂ©fĂ©rence au produit «âŻlocalâŻÂ»
Les produits locaux, fortement plĂ©biscitĂ©s par les consommateurs et les Ă©lus locaux, ne sont pas mentionnĂ©s explicitement dans le projet de loi. Deux raisons Ă cela. Dâune part, le local nâest pas un signe de qualitĂ©. En effet, un porc local peut ĂȘtre issu dâun Ă©levage industriel hors sol de mĂȘme quâune pomme locale peut avoir subi plusieurs traitements phytosanitaires.
Autre argument de poids, la prĂ©fĂ©rence locale est contraire aux principes fondamentaux de non-discrimination et de libre concurrence de la commande publique. La notion de coĂ»t de cycle de vie, parfaitement lĂ©gale quant Ă elle, peut nĂ©anmoins ĂȘtre un levier intĂ©ressant pour encourager les circuits alimentaires de proximitĂ©, Ă condition toutefois de pouvoir apporter la preuve de leur plus-value environnementale.
Le projet de loi ne mentionne pas les contrĂŽles, voire les sanctions qui pourraient ĂȘtre mises en place pour garantir le respect des objectifs par les sites de restauration. Toutefois, il est prĂ©vu quâun dĂ©cret en Conseil dâĂtat vienne prĂ©ciser les modalitĂ©s dâapplication et de suivi du dispositif. Le dĂ©cret fixera aussi un palier intermĂ©diaire Ă atteindre en 2020.
Un pari ambitieux
50âŻ% de produits «âŻdurablesâŻÂ» est un pari ambitieux si lâon regarde les pratiques actuelles. En raison de contraintes budgĂ©taires fortes, la restauration collective a plutĂŽt tendance Ă privilĂ©gier des produits standardisĂ©s achetĂ©s auprĂšs de grossistes spĂ©cialisĂ©s.
La course aux promotions, la mise en concurrence exacerbĂ©e des fournisseurs, la massification des achats via des groupements ou centrales, sont pratique courante sur ce segment de marchĂ©. Une redirection des achats vers la qualitĂ© sâapparente dans ce contexte Ă une vĂ©ritable rĂ©volution, bien que de nombreuses collectivitĂ©s aient depuis longtemps fait le choix dâune autre restauration.
Le bio ne reprĂ©sentait que 2,9âŻ% des achats alimentaires en 2016, soit un marchĂ© de 229âŻmillions dâeuros. Selon lâAgence BIO, le secteur scolaire enregistre une avance confortable avec 79âŻ% des Ă©tablissements qui proposaient du bio en 2017, contre seulement 47âŻ% dans le secteur du travail et 30âŻ% dans le secteur de la santĂ© et du social.
Point positif, les produits bios proposĂ©s aux convives, dans leur trĂšs grande majoritĂ©, sont des produits français, et mĂȘme dâorigine rĂ©gionale pour 59âŻ% dâentre eux. La sensibilitĂ© sur lâorigine des produits est trĂšs nette. LâAgence BIO indique que 66âŻ% des acheteurs de produits bios dĂ©clarent encourager lâapprovisionnement bio de proximitĂ© dans leurs appels dâoffres, notamment en utilisant le critĂšre «âŻcircuit courtâŻÂ».
Freins Ă lâachat
Proposer 20âŻ% de bio nâest pas insurmontable et de nombreuses collectivitĂ©s ont prouvĂ© quâil Ă©tait possible dâatteindre des taux bien supĂ©rieurs. Car 20âŻ%, cela ne reprĂ©sente finalement quâune composante sur les cinq que compte gĂ©nĂ©ralement un repas et on pourrait donc atteindre facilement lâobjectif en proposant chaque jour un produit bio au choixâ : une cruditĂ©, une viande, un fromage, un fruitâŠ
Mais alors, pourquoi sommes-nous si loin du compteâ ? Les freins Ă lâachat ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s par lâAgence BIO dans le cadre de son Ă©tude annuelle sur lâintroduction des produits bios en restauration collective (2). En tĂȘte (citĂ© par 66âŻ% des sondĂ©s) arrive le prix des produits bios puis, loin derriĂšre, le fait que les acheteurs prĂ©fĂšrent privilĂ©gier le local (15âŻ% des sondĂ©s), le manque de fournisseurs et de produits bios (8âŻ%) ou encore des conditionnements mal adaptĂ©s (8âŻ%).
Gestion des coûts
Le respect des objectifs fixĂ©s par la loi pose la question des moyens financiers, humains et organisationnels du cĂŽtĂ© des sites de restauration. Dans un climat dâaustĂ©ritĂ© et de restrictions budgĂ©taires, il faudra donc trouver des solutions pour compenser le surcoĂ»t liĂ© Ă lâachat de produits de qualitĂ©.
Toujours selon lâAgence BIO, le surcoĂ»t du bio se situe autour de 18âŻ% (3), un chiffre qui diminue toutefois dâannĂ©e en annĂ©e (il sâĂ©levait Ă 24âŻ% en 2012). Lâagriculture biologique est en plein essor depuis dix ans, avec un marchĂ© qui a encore progressĂ© de 22âŻ% entreâŻ2015 etâŻ2016.
Ce dĂ©veloppement rend possibles des Ă©conomies dâĂ©chelle au sein des filiĂšres agricoles et une certaine dĂ©mocratisation de lâaccĂšs aux produits bios. Il nâempĂȘche, pour certains produits comme les produits laitiers ou la viande bio, significativement plus chers que leurs Ă©quivalents habituels, acheter bio nĂ©cessite une gestion fine des budgets et le recours Ă des stratĂ©gies bien Ă©prouvĂ©es.
Car les guides de bonnes pratiques ne manquent pas sur le sujet et des leviers dâaction ont dĂ©jĂ fait leurs preuvesâ : ajuster les quantitĂ©s commandĂ©es et cuisiner au plus prĂšs des effectifs rĂ©els (ce qui suppose dâĂȘtre rigoureux sur les modalitĂ©s de rĂ©servation des repas et les consignes donnĂ©es aux familles), adapter les grammages servis aux besoins des diffĂ©rents publics, en tenant compte aussi des «âŻgrandes faims et petites faimsâŻÂ», rĂ©duire les quantitĂ©s de viande en proposant rĂ©guliĂšrement des repas alternatifs ou vĂ©gĂ©tariens ou encore, privilĂ©gier les produits peu Ă©laborĂ©s et veiller Ă respecter la saisonnalitĂ©.
Les produits visĂ©sâ par le projet de loi
Le tableau ci-dessous fait le point sur les signes officiels de qualitĂ© et autres mentions valorisantes reconnus par le ministĂšre et pouvant entrer dans le calcul des 50âŻ% selon les indications du projet de loi. Pour plus dâinformations sur ces signes et les textes de rĂ©fĂ©rence associĂ©s, consultez le site du ministĂšre.
Spécifications techniques
ConformĂ©ment Ă lâarticleâŻ10 du dĂ©cret n°âŻ2016-360 du 25âŻmars 2016 relatif aux marchĂ©s publics, lâacheteur peut, dans les spĂ©cifications techniques, les critĂšres dâattribution ou les conditions dâexĂ©cution du marchĂ© public, exiger un label particulier en tant que moyen permettant de prouver que les fournitures correspondent Ă certaines caractĂ©ristiques dâordre environnemental, social ou autre.
Toutefois, la directive 2014/24/UE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 26âŻfĂ©vrier 2014 stipule que « les spĂ©cifications techniques ne font pas rĂ©fĂ©rence Ă une fabrication ou une provenance dĂ©terminĂ©e ou Ă un procĂ©dĂ© particulier, qui caractĂ©rise les produits ou les services fournis par un opĂ©rateur Ă©conomique spĂ©cifique, ni Ă une marque, Ă un brevet, Ă un type, Ă une origine ou Ă une production dĂ©terminĂ©e qui auraient pour effet de favoriser ou dâĂ©liminer certaines entreprises ou certains produitsâŻÂ».
Câest pourquoi, les acheteurs qui souhaitent inclure dans la commande publique les produits visĂ©s Ă lâarticleâŻ11 du projet de loi doivent veiller, pour Ă©viter toute distorsion de concurrence, Ă rendre possible lâutilisation de produits dits «âŻĂ©quivalentsâŻÂ». Enfin, ne pas oublier que lâarticleâŻ62 du dĂ©cret comporte plusieurs critĂšres dâattribution intĂ©ressants pour faire coĂŻncider les pratiques dâachat et les objectifs du projet de loi.
Sont notamment autorisĂ©s les critĂšres suivantsâ : le coĂ»t du cycle de vie, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rĂ©munĂ©ration Ă©quitable des producteurs, les performances en matiĂšre de protection de lâenvironnement, de dĂ©veloppement des approvisionnements directs de produits de lâagriculture, dâinsertion professionnelle des publics en difficultĂ©, la biodiversitĂ© et le bien-ĂȘtre animal.
«âŻ20âŻ% de bio, si on utilise des produits simples, de saison, accessibles, câest tout Ă fait faisable sans impacter son budgetâŻÂ» – Ăric Grunewald, Manger bio ici et maintenant (MBIM)
Manger bio ici et maintenant (MBIM) regroupe depuis 2010 des acteurs de la distribution de produits bio en restauration collective parmi lesquels seize plateformes locales de producteurs bios, Biocoop Restauration et la FĂ©dĂ©ration nationale de lâagriculture biologique (Fnab). Pour Ăric Grunewald, 20âŻ% de bio est un objectif rĂ©aliste.
Comment lâassociation MBIM a-t-elle accueilli ce projet de loiâ ?
PlutĂŽt bien. MĂȘme si on peut trouver quâil est encore timide, flou Ă certains Ă©gards et sujet Ă diverses interprĂ©tations. Nous avons participĂ© aux Ă©tats gĂ©nĂ©raux de lâalimentation sur le sujet de lâaccĂšs pour tous Ă une alimentation de qualitĂ© avec Dominique Voynet qui prĂ©sidait lâatelier. Pour nous, la loi est un signal essentiel, une direction pointĂ©e pour tous les acteurs. Bien sĂ»r câest aprĂšs que tout va se jouerâ ; il faut former, sensibiliser, Ă©duquer et redonner de la valeur Ă lâalimentation.
20âŻ% de bio en restauration collective, cet objectif est-il rĂ©aliste selon vousâ ?
Oui, il est rĂ©aliste. Si aujourdâhui on est Ă 3âŻ% de bio câest que les acheteurs ne sây mettent pasâ ! Quand le projet de loi a Ă©tĂ© rejetĂ© par le SĂ©nat lâannĂ©e derniĂšre, la Fnab avait fait le calcul que 20âŻ% de bio correspondait Ă peine aux surfaces qui sâĂ©taient converties en bio cette annĂ©e-lĂ . Ă ce moment-lĂ , on avait la plupart de nos plateformes qui cherchaient des clients pour vendre des produits bios locaux. Et les sĂ©nateurs nous parlaient du «âŻdangerâŻÂ» des produits dâimportation. Les filiĂšres et les acteurs sont beaucoup plus mĂ»rs quâil y a dix ans quand le Grenelle avait commencĂ© Ă fixer des objectifs. Câest pour les collectivitĂ©s que ça pose des questions plus que pour nousâ : les budgets, la volontĂ© politique, la dĂ©marche⊠sont-ils vraiment prĂ©sents chez ellesâ ?
Comment sâorganisent les producteurs bios pour rĂ©pondre Ă la demande des sites qui vont certainement connaĂźtre un sursaut dans les prochains moisâ ?
Certaines de nos plateformes font du commerce depuis plus de dix ans et elles ont dans leurs rangs des producteurs qui peuvent voir venir, sans compter le «âŻsurplusâŻÂ» des conversions. Depuis dix ans nos plateformes fournissent une offre complĂšte et adaptĂ©e pour la restauration collective avec lâappui de Biocoop Restauration. Nous avons Ă©galement Ă©quipĂ© nos plateformes dâoutils de gestion commerciale qui permettent une vraie rĂ©activitĂ© commerciale entre producteurs-plateformes et collectivitĂ©s. Par ailleurs, le souci en restauration collective reste souvent la logistique. Ă lâheure actuelle, les volumes en bio sont trop «âŻsaupoudrĂ©sâŻÂ». Sâil y avait un vĂ©ritable sursaut, lâĂ©conomie dâĂ©chelle engendrĂ©e nous permettrait dâĂȘtre beaucoup plus performants, Ă bien des niveauxâ !
Le surcoĂ»t est souvent citĂ© comme Ă©tant un frein important Ă lâachat du bio. Quels conseils donneriez-vous aux acheteurs pour dĂ©passer cette difficultĂ©â ?
Le surcoĂ»t câest en effet ce qui vient en premier comme frein mais parfois Ă tort. PlutĂŽt que de regarder ce que ça pourrait nous coĂ»ter, il faudrait quâon commence Ă regarder ce que ça pourrait apporter Ă tousâ ! Câest vrai que dans lâensemble les produits bios sont plus chers que les produits conventionnels utilisĂ©s en restauration, mais depuis quinze ans on a trouvĂ© sur le terrain des moyens de limiter ce surcoĂ»tâ : Ă©quilibrer les protĂ©ines animales et vĂ©gĂ©tales, veiller au gaspillage, rationaliser les portions⊠Ăa fonctionne dans beaucoup de cantines dĂ©jĂ . 20âŻ% de bio, si on utilise des produits simples, de saison, accessibles, câest tout Ă fait faisable sans impacter son budget.
Contactâ : Ăric Grunewald, coordinateur de MBIMâ : e.grunewald@mbim.fr
Références
- Ă paraĂźtre en 2018â : Dossier dâexpert «âŻGuide pratique pour une restauration collective bio et localeâŻÂ», aux Ăditions Territorial, par Delphine Ducoeurjoly et CĂ©lia Dupetit.
- Conseils pour sâapprovisionner en produits bios locaux, outils pratiques et mĂ©thodologiques.
-  ExpĂ©riences de restauration collective bio en France avec des fiches synthĂ©tiques de prĂ©sentation pour chacune dâelles.
- Rapport annuel sur lâintroduction des produits bios en restauration collective en Franceâ : Ă©volution du marchĂ©, nature des achats, modalitĂ©s dâintroduction, freins, projection du marchĂ© - rubrique «âŻchiffre clĂ©s & analysesâŻÂ» puis «âŻLa bio en restauration collectiveâ : les chiffresâŻÂ».
- La boĂźte Ă outils «âŻLocalimâŻÂ» du ministĂšre de lâAgriculture destinĂ©e aux acheteurs publics de la restauration collective en gestion directe pour accompagner le dĂ©veloppement de lâapprovisionnement local et de qualitĂ©.
ThÚmes abordés
Notes
Note 01 Cet amendement constitue une proposition tant que la loi nâest pas votĂ©e. Retour au texte
Note 02 Mesure de lâintroduction des produits bios en restauration collective, CSA/Agence BIO, maiâŻ2017. Retour au texte
Note 03 Sourceâ : observatoire 2017 des produits bios en restauration hors domicile, Agence BIO. Retour au texte