Clé de voûte de la loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne, le chèque emploi service universel (Cesu), lancé en février 2006, a été présenté d’abord comme un nouvel outil au service de la politique sociale des entreprises, au même titre que le chèque restaurant. Ce que l’on a moins dit, c’est que ce nouveau mode de paiement pouvait aussi intéresser les collectivités locales. Dans sa version préfinancée, il permet en effet de verser des prestations sociales en nature, dont l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), gérée par les départements. Cinq conseils généraux – la Haute-Corse, la Haute-Vienne, la Nièvre, les Pyrénées-Orientales et la Saône-et-Loire – se sont ainsi saisis de ce dispositif, tandis que plusieurs autres, dont la Loire, seraient sur le point de se lancer.
L’ancien titre emploi service (TES) permettait déjà aux départements de verser l’APA sous forme de chèque préfinancé, mais uniquement lorsque le plan d’aide optait pour l’intervention d’un organisme prestataire. La principale nouveauté du Cesu est d’élargir cette fonctionnalité à toutes les prestations sociales en nature, y compris si les services sont rendus en gré à gré. Le conseil général des Pyrénées-Orientales, qui avait adopté le TES dès 2005, a donc étendu, en avril dernier, le paiement par Cesu à la totalité de l’APA ainsi qu’à la prestation de compensation du handicap et aux interventions à domicile prévues par l’aide sociale à l’enfance. Depuis, 8 000 bénéficiaires reçoivent chaque mois un carnet de chèques à montant prédéfini. Nominatif, chaque chèque permet de rémunérer une heure de services, en emploi direct ou par l’intermédiaire d’un prestataire.
Lisibilité
Selon Roland Giraud, directeur général adjoint en charge de la solidarité, le premier intérêt de ce dispositif est de rendre plus lisible l’action sociale du département : « En matérialisant l’aide, le Cesu permet à l’usager de mieux identifier le rôle de la collectivité publique, en particulier quand le paiement par chèque vient remplacer le tiers payant, c’est-à-dire le versement direct de l’APA aux services d’aide à domicile. » Un système qui présente aussi l’avantage de replacer l’usager au cœur de l’action publique, « puisque c’est lui qui perçoit directement l’allocation, conformément à l’esprit de la loi », précise le directeur du conseil de gestion (1), Alain Porteils.
Pour les collectivités locales, le principal atout du chèque prépayé est néanmoins d’ordre financier : « On est sûr que l’allocation servira uniquement à ce à quoi elle est destinée, ce que ne garantit pas un versement sur le compte bancaire », note Roland Giraud, qui y trouve l’assurance d’une utilisation plus rigoureuse de l’argent public. Le montant des chèques non utilisés étant remboursé par l’émetteur sitôt leur période de validité écoulée, ce mode de paiement permet également au département de recouvrer facilement les indus. En 2006, 15 % du volume de l’APA lui a ainsi été restitué. « De nombreux événements, comme l’hospitalisation ou le décès du bénéficiaire, empêchent que les plans d’aide soient réalisés dans leur intégralité, explique Alain Porteils. Auparavant, le seul moyen de récupérer les sommes versées était d’effectuer des contrôles d’effectivité a posteriori, ce qui était à la fois coûteux et traumatisant pour les usagers. »
Chasse aux indus
Le même souci de lutter contre la « déperdition » de la dépense publique a poussé le conseil général de la Haute-Corse à utiliser le chèque préfinancé dès 2002. Pour plus de réactivité, il a couplé le dispositif à un système de télégestion, qui lui permet de savoir, en temps réel, si l’intervenant s’est bien rendu au domicile du bénéficiaire. « A la fin de chaque mois, nous pouvons ainsi comparer le nombre de Cesu alloués au nombre d’heures réellement effectuées, et réajuster le plan d’aide si nécessaire », explique Pierre Olmeta, directeur des interventions sociales et sanitaires du département.
L’an dernier, sur 7,5 millions d’euros versés en Cesu, la Haute-Corse a ainsi récupéré un million d’euros d’indus. « Ces économies, nous les avons directement réinvesties dans les associations, pour leur permettre d’envoyer leurs salariés en formation et d’appliquer les augmentations salariales prévues par la convention collective de branche », assure Pierre Olmeta.
Freins
Jusqu’à présent, plusieurs obstacles ont néanmoins ralenti l’appropriation du Cesu par les conseils généraux, le principal concernant le versement des cotisations sociales en cas d’emploi direct. Contraints de payer à leurs bénéficiaires l’intégralité des prestations sociales, cotisations comprises, les départements ne peuvent en effet effectuer ce versement par le biais du Cesu, réservé au paiement du salaire net. Grâce aux travaux menés par le club Cesu, lancé fin 2006 par l’Agence nationale des services à la personne pour accompagner les financeurs de prestations sociales (2), une solution intermédiaire devrait être mise en place à compter du 1er juillet. A terme, les départements pourront payer les cotisations directement à l’organisme de recouvrement, grâce à un système de tiers payant.
Autres freins dans la mise en œuvre du dispositif : la lourdeur du traitement matériel des chèques par les associations prestataires et l’importance des frais d’encaissement, supportés par les seuls services d’aide. Pascal Dorival, directeur général de Chèque domicile, l’un des émetteurs de Cesu, estime néanmoins que ces inconvénients devraient s’amenuiser avec la dématérialisation des chèques : « Nous expérimentons actuellement un appareil qui lit les titres et les transmet directement au centre de remboursement, sous forme de fichier informatique. Ainsi, les manipulations disparaissent et les frais d’encaissement sont compensés par un remboursement quasi instantané des titres. »
Reste la crainte, exprimée par certaines associations, de voir le Cesu remettre en question la relation privilégiée qu’elles entretenaient avec les conseils généraux. « En versant l’APA directement aux associations, les départements marquaient leur volonté de soutenir le mode prestataire, seul à même de garantir un service de qualité, estime Alain Villez, conseiller technique à Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux. Avec le Cesu, le risque est de les voir se détourner de leurs responsabilités en laissant se développer l’emploi direct. »
Outil d’avenir ?
Les avantages du Cesu finiront-ils par l’emporter sur ses inconvénients ? Ce n’est pas l’avis du conseil général de la Charente-Maritime, qui vient d’abandonner le dispositif après deux ans d’expérimentation. Pour ce département, les difficultés liées au versement des cotisations sociales et les frais de fonctionnement du système ont été rédhibitoires, et les économies faibles. Auparavant, la collectivité versait l’APA directement aux associations prestataires, sur facture, donc uniquement pour la partie du plan d’aide réellement effectuée.
Dans le même temps, soixante-quatorze départements manifestaient pourtant leur intérêt pour ce sujet en adhérant au club Cesu. « A l’heure où l’argent public se fait plus rare, la bonne gestion devient la condition même de la pérennité de nos politiques de solidarité, assure Roland Giraud. De ce point de vue, le Cesu est vraiment un outil d’avenir. »