« Le renforcement de l’ancrage territorial et l’articulation de l’économie sociale et solidaire aux politiques publiques locales constitue un autre vecteur indispensable à la réussite du changement d’échelle de cette économie (…) Les collectivités ont vingt ans d’avance sur l’Etat en matière de développement de l’économie sociale et solidaire ». Les propos de Benoit Hamon, le 6 novembre en ouverture de la discussion, pouvaient faire espérer que les collectivités seraient bien au coeur de la gouvernance de l’économie sociale et solidaire.
Pourtant, « le projet de loi reste extrêmement décevant sur ce sujet », souligne Christiane Bouchart, présidente du Réseau des collectivités territoriales pour une Economie Solidaire (RTES). « Alors qu’on ne cesse de vanter les mérites de la proximité, de l’ancrage territorial, pas une collectivité locale n’a été invité par le président de la République et le ministre délégué à l’ESS à l’occasion du lancement du mois de l’ESS le 31 octobre. Le projet de loi est à l’image de cette anecdote. Or, la spécificité de l’ESS réside bien dans son fort ancrage territorial de l’activité qui la compose et dans l’hybridation étroite et sans cesse renouvelée entre action publique locale et réponse entrepreneuriale ».
Pas de chef de file
Justifiant sa position de « ne pas avoir fait le choix de privilégier un échelon de collectivités territoriales plutôt qu’un autre », le gouvernement n’a pas souhaité établir un chef de file en matière d’ESS. Toutefois, les sénateurs devraient adopter un article additionnel sur l’animation territoriale de l’ESS instaurant une conférence régionale, co-animée par le préfet de région et le président du conseil régional. « L’Etat a donc tout intérêt à s’appuyer sur une déclinaison territoriale de sa stratégie pour trouver dans ces ressources locales les leviers indispensables à l’essaimage des projets et des pratiques solidaires », souligne un amendement porté par l’Association des régions de France.
Si le projet de loi prévoit bien l’inscription de l’ESS dans les schémas régionaux de développement économique, « on ne retrouve pas l’esprit de la transversalité de l’ESS, dans le texte. Nous avons proposé que les différents outils de la politique contractuelle de l’Etat avec les collectivités territoriales, les contrats de développement territoriaux, les schémas et plans locaux, par exemple autour de l’habitat, de la cohésion urbaine et sociale, … intègrent un volet relatif à l’économie sociale et solidaire », reprend Christiane Bouchart. Ni les communes, ni les intercommunalités, ni les départements sont cités dans le texte.
Puzzle complexe
Aujourd’hui, la gouvernance de l’ESS reste un puzzle complexe, variant fortement d’un territoire à l’autre. Comme le souligne Amélie Artis, maitre de conférence en sciences politiques à l’institut d’études politiques de Grenoble, les politiques publiques de l’ESS combinent des politiques d’ordonnancement qui visant à favoriser le développement du secteur et des politiques de processus, qui permette d’institutionnaliser ces politiques – à l’image du mois de l’ESS qui se tient chaque année au mois de novembre. Mais malgré une mise à l’agenda politique – dans un contexte de « financiarisation de l’économie mondiale qui implique une dépossession de la gouvernance économique, que ce soit au détriment de la sphère politique ou de celle des organisations sociales », comme le soulignait le ministre délégué à l’ESS, Benoit Hamon au Sénat – l’ESS peine à être prise en compte dans les politiques publiques de manière transversale. Quant au rattachement institutionnel de l’ESS à l’approche économique, il prédomine désormais dans les collectivités. S’il a permis effectivement de légitimer cette politique et de lui quelques moyens, celui-ci n’est pas neutre, « cette logique peut conduire à une standardisation et une mise en concurrence entre les organisations ».
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