« Il y a toujours des amis d’amis qui connaissent d’autres amis »
Grégory Schmidt, adjoint technique à Schiltigheim (31 200 hab., Bas-Rhin)
Tout juste trentenaire, je suis, comme la plupart de ceux de ma génération, un internaute au quotidien, auteur d’un blog et possesseur d’un compte Facebook. Pour autant, je suis également agent de la fonction publique territoriale et fais donc très attention aux propos que je publie par ces biais. Il est vrai qu’un malheureux faux pas commis il y a quelque temps m’a largement servi de leçon.
Sous l’impulsion du moment, j’avais en effet posté sur mon mur mes états d’âme du jour, lesquels m’ont valu, dès le lendemain, plusieurs remarques plus ou moins désobligeantes au travail ! Quels que soient les paramétrages, il y a toujours des amis d’amis qui connaissent d’autres amis pouvant accéder à ces publications… Désormais, je veille donc à faire preuve de la plus grande prudence, jusque dans les photos mises en ligne. Même si, évidemment, cette modération obligée confisque une grande partie du plaisir procuré par ces outils en étouffant complètement la spontanéité qui faisait leur intérêt.
« Des fonctions désormais incompatibles avec l’indiscrétion des réseaux »
Antoine Bardet, fonctionnaire et blogueur
Très respectueux des obligations liées à mon statut de fonctionnaire territorial, je me suis toujours entouré de toutes les précautions utiles pour qu’aucun manquement de ce type ne puisse m’être reproché : choix d’un positionnement hiérarchique intermédiaire, mise en ligne sous pseudonyme, lien inexistant avec la collectivité visée… C’est d’ailleurs ce que le tribunal administratif a retenu en déboutant la partie adverse. Mais, malgré cette victoire, je reste très marqué par cette affaire qui m’a obligé à demander ma mutation et quitter une région où je souhaitais durablement m’installer.
Aux fonctions qui sont aujourd’hui les miennes, réitérer ce type d’action me paraît moins évident. Je me suis même retiré de Facebook, estimant que ma position professionnelle actuelle n’est plus compatible avec l’indiscrétion qui caractérise ce type de réseau. Comme tous les outils, ces divers instruments numériques peuvent blesser. Il faut donc apprendre à les manipuler avec prudence et adresse.
« Ne pas confondre démocratie et transparence »
Michaël Foessel, maître de conférences à l’université de Bourgogne (1)
En supprimant toute interface entre auteur et lecteur, internet contribue à la confusion entre démocratie et transparence, entre vie publique et sphère privée. Les réseaux sociaux en sont le modèle. Désormais, un vécu ne vaut que s’il est partagé, jusqu’à l’oubli, parfois, d’une fonction et de ses impératifs. A ce comportement s’ajoute une défiance croissante à l’égard des institutions, faisant d’internet le relais illusoire de la moralisation de la société. Mais les fonctionnaires ont beaucoup à perdre à défier ainsi leur obligation de réserve, intentionnellement ou non, car ce devoir est aussi l’une de leur meilleure protection contre les pressions… Vivre sous la menace du caractère privé de son existence ne peut qu’avoir un effet dévastateur. A force de diluer le privé dans le public et de tout relier par hypertexte, le web va-t-il nous obliger à n’avoir que des engagements professionnels et personnels cohérents ou nous condamner à vivre dans l’angoisse d’une trace toujours susceptible de nous rattraper ?
Références
Lire aussi notre Dossier juridique Déontologie des fonctionnaires, droits et obligations [Réservé aux abonnés]
Cet article fait partie du Dossier
Déontologie des fonctionnaires : droits et obligations
Sommaire du dossier
- La HATVP et le respect des règles déontologiques en 10 questions
- Déontologie des fonctionnaires : des obligations en évolution – Introduction
- L’agent public territorial lanceur d’alerte en 10 questions
- Déontologie : les fonctionnaires territoriaux vers de nouvelles contraintes
- Déontologie des fonctionnaires : une meilleure protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte
- Déontologie : les valeurs du service public réaffirmées
- Douze référents « laïcité » aident les agents à se positionner
- «La Loi Déontologie est un bond en avant même si certains dispositifs auraient pu être plus simples » – Guillaume Valette-Valla
- Conflits d’intérêts : Quels garde-fous pour les fonctionnaires ?
- Déontologie et transparence : « Pour les directeurs généraux, l’absence de statut pose problème dans le cas de l’alerte éthique »
- Moralisation de la vie publique : des avancées incomplètes
- Moralisation de la vie publique : un éternel recommencement
- La loi sur la transparence de la vie publique jugée par Daniel Lebègue, président de Transparency International France
- Devoir de réserve et internet : Surfer sans déraper, réseauter sans dérailler
- Vie publique, sphère privée sur le web 2.0 ? Témoignages d’utilisateurs
- Devoir de réserve et internet : Agents formés, échanges encadrés : dérapages évités !
- Devoir de réserve, devoir de prudence ? Avis d’experts
- Devoir de réserve et internet : Et du côté des entreprises du secteur privé ?
- Les obligations des agents territoriaux en 10 questions
- Les règles de cumul d’activités des agents publics en 10 questions
- L’obligation de réserve des agents territoriaux en 10 questions
- Principes de déontologie financière
- Les DGS face à des pratiques irrégulières
- Se former à la déontologie : interview de Mary Claudine, conseillère de formation au CNFPT
- Interview d’Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie
- La commission de déontologie des agents publics en 10 questions
- Des outils pour une Commission européenne exemplaire
- Documents et ressources
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Il y enseigne la philosophie. Il est, par ailleurs, l’auteur de « La privation de l’intime », éd. du Seuil, 2008. Retour au texte