A l’heure où les cabinets de conseil privés pèsent de plus en plus lourd dans l’ingénierie locale et dans les dépenses des collectivités publiques, la création d’un Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) voué à réunir l’expertise scientifique pour accompagner les communes, ne manque pas d’originalité.
« Mieux comprendre pour mieux travailler » – Porté par la volonté de son directeur et concepteur, le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, le projet d’ORDCS vise tout d’abord à « proposer aux collectivités territoriales une aide pour diagnostiquer les problèmes et évaluer leurs politiques publiques et leurs dispositifs ».
En clair, cette nouvelle structure régionale se donne l’objectif de produire des enquêtes et des statistiques, d’établir des diagnostics locaux de sécurité, de conduire de véritables évaluations des politiques municipales.
La méthode se veut scientifique, fouillée, rigoureuse. Loin, selon Laurent Mucchielli, des sociétés d’audit qui « fabriquent en série » des diagnostics sans prendre de recul, se contentent « de collationner des chiffres et des déclarations officielles », sans mener aucune recherche ni enquête de terrain menée auprès de la population et de l’ensemble des acteurs de terrain. « Heureusement, poursuit-il, à l’inverse, certains ont à cœur de mieux comprendre pour mieux travailler, d’être toujours plus renseignés, plus instruits et au final, plus efficaces ».
Mise en réseau des scientifiques – Pour ce faire, l’ORDCS se fixe pour objectif de « mettre en réseau les membres de la communauté scientifique et de développer la recherche » sur ces questions de sécurité et de prévention de la délinquance.
A l’occasion du lancement officiel de l’Observatoire, le 13 décembre à Aix-en-Provence, une restitution des premiers travaux a été organisée, donnant la parole aux historiens, sociologues, et psychologues pour dresser un premier état des lieux. Au programme :
- « L’état des recherches sur l’histoire de la criminalité dans la région marseillaise »,
- « Un bilan des recherches sur les trafics de drogue »,
- « Les homicides conjugaux en région Paca durant les années 2000 »,
- « La question de la corruption : l’exemple des Alpes-Maritimes »
- ou encore une « Etude exploratoire sur la délinquance économique et financière ».
Soutien du conseil régional – Première vertu prêtée par son directeur à l’Observatoire : l’indépendance vis-à-vis « de tout pouvoir politique ou économique ».
Pour y veiller, l’Observatoire sera entouré d’un conseil scientifique de 8 membres réunissant des personnalités du monde universitaire, mais également un commissaire de police et une magistrate.
Une dimension scientifique à laquelle la région s’est montrée sensible. « Cet Observatoire est une initiative extraordinaire sur un sujet essentiel qu’est la sécurité publique, se félicite Gaëlle Lenfant, vice-présidente du conseil régional, chargée notamment de la sécurité et de la prévention, selon laquelle « on a plus que jamais besoin d’un outil d’objectivation qui nous apporte une information indépendante sur des phénomènes de délinquance extrêmement complexes ».
Et de préciser que Paca est la seule région française à être conventionnée avec les services judiciaires et l’une des rares à s’être dotée d’un service « prévention de la délinquance, citoyenneté et sécurité » destiné à venir en appui aux communes sur certaines thématiques et à participer aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.
Le soutien régional à l’Observatoire, précise-t-elle, s’élève à 60 000 euros et est consacré au financement des deux postes de statisticiennes qui lui sont propres.
« L’observatoire se situe dans une démarche de service public »
Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de l’ORDCS
En quoi la création de votre Observatoire est-elle originale ?
L’originalité tient à sa nature : c’est avant tout un programme de recherche scientifique, piloté par le CNRS et l’Université, associés ensuite avec la région Paca pour proposer un service aux collectivités territoriales. L’observatoire se situe donc dans une démarche de service public.
Que peuvent en attendre les communes ?
L’aide des sciences sociales et de leurs méthodes éprouvées d’objectivation, essentiellement pour diagnostiquer les problèmes ou évaluer des dispositifs. A condition, bien entendu, de respecter l’indépendance des chercheurs et de leur donner le temps de travailler sur le fond. Le temps de la recherche n’est pas le temps du politique.
Les élus qui sont simplement dans de l’affichage de la préoccupation pour la délinquance n’ont pas besoin de nous, surtout pas, même ! Ils font très bien affaire avec des sociétés privées qui leur disent en très peu de temps des choses qui ne fâchent personne…
Pour quel coût ?
Tout dépend de ce que souhaite la collectivité. Concrètement, le travail de terrain ne coûte pas très cher car nous avons les ressources universitaires. Le travail sur les données institutionnelles est presque gratuit puisque c’est dans nos missions conventionnées avec la région.
En revanche, le travail original, tel que des enquêtes anonymes sur des échantillons représentatifs de la population d’une ville coûte fatalement plus cher, mais c’est aussi un élément d’analyse de la vie quotidienne qui est très riche et qui permet de se doter d’un thermomètre indépendant de l’action policière et judiciaire.
Donner du sens aux chiffres de la délinquance
Parmi les sujets les plus sensibles, l’équipe de l’Observatoire a rendu public le 13 décembre son « tableau de bord statistique analytique des délinquance et de leurs contextes sociaux » en région Paca. Illustration à l’appui. Ainsi, comme on pouvait s’y attendre, les statistiques policières de la région placent Marseille en tête du nombre d’infractions constatées. Mais, si l’on rapporte les chiffres à la population résidente, « ce n’est plus Marseille la capitale du crime en Paca, c’est Cannes ! », indique Laurent Mucchielli.
De même, la prise en compte du flux touristique modifie considérablement ce même classement.
Autres indicateurs retenus par Emilie Raquet et Claire Saladino, les deux statisticiennes de l’Observatoire : la jeunesse, le chômage ou encore les inégalités de revenus fiscaux. Partant du constat sociologique que le niveau de délinquance « est le plus fort là où les écarts de richesse sont les plus importants et où les pauvres côtoient tous les jours les plus riches », il en ressort que « les inégalités de revenus « expliquent » davantage des taux d’infractions élevés que l’indicateur de jeunesse ou même les taux de chômage ou d’absence de diplôme des jeunes ».
Une hypothèse que Laurent Mucchielli souhaite désormais compléter par des enquêtes en population générale « permettant de récolter les déclarations de nos concitoyens indépendamment de l’enregistrement policier ».
Contact de l’Observatoire : ordcs@mmsh.univ-aix.fr
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