En ce dimanche d’automne, le SEL Est de Montreuil a invité ses 85 adhérents à venir « pêcher ». C’est ainsi que Dominique Doré, porte-parole de la coordination des SEL Ile-de-France, a déniché un joli foulard rose et vert, des coussins et deux peignoirs pour sa mère, un égouttoir et un petit haut. Le tout pour 200 « unités » qu’elle a consignées dans sa « feuille de richesse » qui sert de carnet de compte aux Selistes.
« On dit « pêcher » et non acheter. Un terme qui fait référence aux murs à pêches de Montreuil ! De même, comme le SEL est parallèle au système monétaire classique, on ne parle pas d’argent mais « d’unités » d’échange qui, à la différence des monnaies locales, ne sont pas convertibles en euro. J’en avais 2 000 d’avance parce que j’avais confectionné des tisanes et des pommes en sachet qui ont eu beaucoup de succès auprès des Selistes ! »
40000 pratiquants – Le premier SEL – Système d’échange local – de France est né en Ariège, en 1994, sur le modèle des Lets anglo-saxons, les Local exchange trading systems, inventés dans les années 1980.
« Croco SEL », « Carrous’SEL », « Uni vers SEL »… les jeux de mots abondent pour dénommer les 450 SEL recensés sur l’ensemble du territoire – tous créés à l’initiative de citoyens – dont plus d’une centaine depuis la crise financière de 2008.
Quant au nombre de Selistes, il tournerait autour de 40 000.
Si chaque SEL est autonome dans son fonctionnement, le principe est le même pour tous : des personnes créent une association afin d’échanger des biens, des services et des savoirs entre elles. Pour faciliter ces échanges, les adhérents ont souvent recours à une unité de compte basée, dans la grande majorité des cas, sur le temps.
Donner une valeur à l’heure échangée – « Au SEL Est de Montreuil, précise Dominique Doré, nous essayons de compter en temps : 60 unités représentent ainsi 1 heure. Mais ce n’est pas du troc car nous ne sommes pas dans un échange dualiste. On est au-delà de ce qui se pratiquait dans les campagnes : 1 heure de moisson = 1 heure de moisson. Notre système d’échange de « coups de main » est plus large. »
Avec 120 unités qu’elle aura gagnées, par exemple en tricotant un pull pour une adhérente de son SEL, elle va ainsi pouvoir suivre deux heures de cours d’anglais, ce qui permettra à son professeur de bénéficier, à son tour, de l’aide d’un autre adhérent pour réparer un problème de plomberie dans sa maison. Toute la difficulté est de trouver une équivalence entre les services rendus ou les biens échangés afin que les Selistes ne se sentent pas lésés. La réciprocité est alors primordiale.
Autre écueil : afin d’éviter le travail au noir, un professionnel ne peut exercer directement son métier. En clair, interdiction pour un coiffeur de faire une coupe de cheveux, mais il peut animer un atelier et partager ses trucs et astuces avec les adhérents.
Le fait d’encourager ainsi les relations d’entraide, en dehors de tout système marchand, représente une autre différence (et peut-être la limite de cette initiative) avec les monnaies locales : le SEL ne permet pas d’échanger avec des commerçants.
Derrière ces échanges, se cache un vaste enjeu, celui de créer du lien social. « Le SEL n’est après tout qu’un prétexte pour que les habitants d’un quartier s’intègrent. L’essentiel, c’est la convivialité. Cela permet également de révéler des talents. On n’imagine pas toutes les richesses qu’on a en nous : un comptable qui s’ennuie dans son travail va s’éclater grâce à sa maîtrise de la pâtisserie ! De même, une personne à la retraite va sortir de sa solitude et se revaloriser, non seulement à ses propres yeux mais aussi à ceux des autres, en contant des histoires à des enfants. Et ainsi mieux vivre », s’enthousiasme Dominique Doré.
Autre objectif du SEL : « Prendre du recul par rapport au système capitaliste existant. Se laver un peu la tête grâce à des références différentes. Leur rôle d’éducation populaire est très important : pour penser autrement, il faut faire autrement. »
Cet article fait partie du Dossier
Economie sociale et solidaire : quand les territoires inventent leur monnaie
Sommaire du dossier
- Economie sociale et solidaire : quand les territoires inventent leur monnaie
- Que mille monnaies locales fleurissent
- Les monnaies locales, ciment de solidarité dans les territoires
- Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les monnaies locales
- Romans-sur-Isère bat « La mesure »
- Patrick Viveret : « Les monnaies locales jouent un rôle d’alerte »
- Comment, pourquoi créer une monnaie locale ? – Interview de Guy Poultney qui a lancé le Bristol Pound
- Le temps, c’est de l’argent ! : du SEL dans les échanges
- Le temps, c’est de l’argent ! : les Accorderies
- Le SOL, monnaie SOLidaire, se relance à Toulouse
- Monnaies locales complémentaires : ressources et documents