Créé avec succès en 2002 au Québec, le concept d’Accorderie vient d’être importé, à titre expérimental, en France. Une initiative de la Fondation Macif qui, conquise par ce système altruiste très populaire outre-Atlantique, a signé une convention de partenariat exclusif avec le réseau Accorderie du Québec pour implanter progressivement ce concept solidaire sur notre territoire. Objectif : « lutter contre la pauvreté et l’exclusion et favoriser la mixité sociale. »
Comment ? Concrètement, un adhérent qui effectue, par exemple, une heure de baby-sitting ou de cours de français, ou bien d’aide à un déménagement, se voit attribuer un crédit d’heures qu’il peut ensuite utiliser pour bénéficier de services proposés par d’autres Accordeurs. Et ce, sans aucune contrepartie financière.
Banque du temps – Précision : à la différence du Système d’échange local (SEL), on ne s’échange pas de biens. Toutes les offres sont mises en ligne sur la page web du réseau et dans un annuaire papier pour les adhérents qui n’ont pas accès à Internet. Chaque échange est comptabilisé dans une banque de temps, selon le principe « une heure de service rendu vaut une heure de service reçu ». Il ne s’agit donc pas de bénévolat.
Et peu importe le service rendu et le niveau de compétences : tous les échanges sont mis sur un pied d’égalité.
Dans cette banque de temps, chaque Accordeur dispose d’un compte temps où sont inscrites les heures données et reçues. La comptabilité se fait à partir de chèques temps. Lorsqu’une personne adhère au réseau, quelques heures sont offertes sur son compte afin de lui permettre d’échanger des services immédiatement. Une des originalités de l’Accorderie consiste dans son système d’échange à trois niveaux :
- individuels (entre Accordeurs),
- collectifs (par exemple via la constitution d’un groupement d’achats),
- associatifs (quand les adhérents participent à l’organisation et au fonctionnement du réseau).
Valoriser les personnes et leur savoir-faire – Pour l’instant, deux Accorderies sont expérimentées. La première, dans le 19ème arrondissement de Paris, a commencé à recevoir des inscriptions dès le mois de septembre 2011. Portée par la Régie de quartier du 19ème Nord, elle sera inaugurée officiellement le 15 novembre.
Selon Laetitia Jacob, responsable de l’Accorderie de Paris 19ème, « les objectifs sont de créer du lien social et de valoriser les personnes sur la base de leurs savoir-faire. On échange ainsi, non pas de l’argent ou des biens, mais du temps passé à se rendre service. »
A la mi-novembre, son réseau rassemblait 77 adhérents proposant au total 300 services : de l’initiation informatique au soutien scolaire en passant par le bricolage, les cours de langue et l’aide aux démarches administratives.
« Si notre Accorderie est ouverte à tout le monde, la première tendance que l’on peut dessiner, précise Laetitia Jacob, c’est que les Accordeurs de Paris 19ème sont majoritairement des personnes vivant seules qui ressentent le besoin de sortir de leur isolement. 20 % d’entre elles sont au chômage. Il y a 70 % de femmes. La majorité a entre 45 et 65 ans et un quart a entre 18 et 45 ans. »
Pour renforcer le « tissage de liens », l’Accorderie de Paris 19ème a décidé d’organiser des soirées-rencontre auxquelles sont invités, autour d’un buffet, tous les inscrits. C’est ainsi qu’un vendredi de novembre, nous avons croisé Laurence Faghel, 53 ans.
Après avoir vécu 25 ans au Québec, où elle avait connu le système des Accorderies, elle est rentrée en France il y a deux ans :
J’ai proposé de donner des cours de couture et d’anglais en échange d’une aide au déménagement, d’un chauffeur de camionnette et de travaux d’électricité à faire chez moi. Comme je vis seule, que je suis au RSA et que j’ai quelques ennuis de santé, cette initiative est plus que bienvenue. En pleine crise financière, c’est un moyen de ne pas sombrer encore plus bas. Le fait de s’échanger des coups de main sans rapport d’argent permet d’entrer en relation avec les autres d’une façon humaine. Il n’y a pas de rapport de force, de hiérarchie. Ça nous valorise aussi : on se rend compte concrètement qu’on a tous des services ou des connaissances à partager. Enfin, pour sortir de la solitude, c’est précieux. Ce soir, j’ai entendu deux grands-mères vivant seules qui disaient : « Moi, je n’aime pas faire la cuisine. » « Moi, c’est le ménage ». Du coup, elles vont s’entraider !
Thomas Rochetti, 29 ans, en recherche d’emploi dans le secteur associatif, et Olivier Richard, 38 ans, consultant en informatique, partagent son enthousiasme.
Thomas : « L’Accorderie me permet de m’investir au niveau local dans un quartier auquel je suis attaché. En rencontrant des gens d’horizons différents du mien, je m’ouvre et je m’enrichis. Olivier, par exemple, m’a donné un cours de photo argentique, et c’est devenu un loisir. »
Olivier : « Dans une ville comme Paris où chacun est centré sur soi, c’est important une telle initiative. Quand je prends le métro, je me dis souvent : tiens, il y a sûrement une personne qui pourrait aider une autre à repeindre son salon et cette même personne pourrait en trouver une troisième qui réparerait son vélo ! C’est ça la force d’un tel projet : sa réciprocité globale. »
Deuxième ville test séduite par cette « réciprocité globale » : Chambéry, où une autre Accorderie a ouvert le 14 novembre, dans le quartier de Chambéry-Le-Haut. Un lancement mené avec le soutien du conseil régional Rhône-Alpes et l’association La Monnaie Autrement (Comité local SOL). A noter que trois nouvelles Accorderies seront créées en 2012 à Paris. Et si la « greffe québécoise » prend, d’autres devraient ouvrir leurs portes dans les quartiers de l’hexagone.
Cet article fait partie du Dossier
Economie sociale et solidaire : quand les territoires inventent leur monnaie
Sommaire du dossier
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