Les volets roses en bois usé sont fermés. A l’intérieur, la pièce est vide. Plus un bruit. Les rires, les longues discussions et les chants qui ont si longtemps résonné ici ont disparu. Le décor porte en lui le souvenir d’une époque révolue : comptoir en zinc et son formica rouge, murs de papier peint jaunis par le temps, assiettes d’antan accrochées aux quatre coins.
On est en août 2021 et Juliette Neel, patronne du café du Maine à Argentré (Mayenne) depuis quarante-huit ans, se résout à fermer. Les clients devenaient rares et sa santé décline… 91 ans, tout de même ! Elle s’était pourtant jurée de mourir derrière son comptoir. Les habitants, émus, ont mille anecdotes à raconter sur ce lieu important dans la vie du village. Michel se souvient y avoir rencontré sa femme au milieu des années 70. Juliette Neel n’a pas trouvé de repreneur. C’est un morceau de l’histoire de la commune qui s’en va. A Argentré, où vivent 3 000 personnes, il n’y a désormais plus qu’un café. Il y a cinquante ans, ils étaient 22.
Sept communes sur dix n’ont pas ou plus de café
Un bistrot comme celui-là, contraint de baisser le rideau, ne constitue en rien une histoire isolée. Pierrick Bourgault, auteur de « Journal d’un café de campagne », a fait le calcul. Il y a un siècle, la France comptait 500 000 cafés. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 35 000. Sept communes sur dix n’ont pas ou plus de café. Pour enrayer cette hémorragie, et tenter de réanimer les bourgs, le gouvernement a lancé en 2019 l’opération « 1000 cafés », déléguée au groupe SOS. L’idée est simple : soutenir les projets de reprise de bistrots via l’économie sociale et solidaire pour qu’un millier de cafés s’installe dans mille communes de moins de 3 500 habitants. Ici, le groupe est opérateur, ce qui signifie qu’il prend à sa charge le risque entrepreneurial. Le projet, initié au lendemain des « gilets jaunes », a été quelque peu plombé par l’irruption du Covid. Ouvrir un café en plein confinement était mission impossible.
Trois ans plus tard, difficile de dresser un bilan très précis. « Une centaine de cafés ont été créés ou repris », indique tout de même Pierrick Bourgault, amoureux de ces lieux hors du temps. Soit le dixième de l’objectif final. « La difficulté est de trouver des gérants qui restent. Beaucoup ferment au bout de quelques mois, poursuit l’auteur. Le profil idéal, ce sont des gens très ancrés localement, motivés et compétents. » De belles histoires émergent ici ou là. Dernièrement, c’est le café-restaurant de Mévoisins (Eure-et-Loir) qui a pu renaître grâce au soutien de la mairie et du projet « 1000 cafés ». Mais il y a aussi des désillusions, comme à Saint-Biez-en-Belin (Sarthe), où les patrons ont dû fermer leur établissement au bout de sept mois seulement. Ils ne manquaient pourtant pas de motivation et multipliaient les activités – restaurant, épicerie, marchand de journaux, dépôt de pains… –, mais l’inadéquation entre qualité et quantité, couplée à une baisse du chiffre d’affaires, les ont contraints à céder leur activité.
Mairies aux avant-postes
Les mairies sont aux avant-postes dans l’accueil et l’accompagnement de ceux qui décident de reprendre une affaire en main. « Les communes s’investissent énormément dans les reprises de cafés en participant, par exemple, aux travaux de rénovation, confirme Pierrick Bourgault. Ça peut monter jusqu’à 300 000 ou 400 000 euros à la charge des mairies. » Dans bien des cas, les retombées sont immédiates sur la vie du village. « Il existe une vieille tradition française qui fait que les liens sociaux se sont construits en bonne partie dans les cafés. Ce sont des lieux où toutes les générations se retrouvent », assure Joël Giraud, ancien ministre de la Cohésion des territoires, aussi chargé de la Ruralité au sein du gouvernement de Jean Castex.
L’homme, aujourd’hui député des Hautes-Alpes, a soutenu avec ferveur l’initiative du groupe SOS car il a tout de suite flairé la potentielle redynamisation des communes qui se cachait derrière. « Dans des villages qui ont tout perdu, où les services publics se sont faits la malle, réimplanter un café est l’occasion de développer la culture, de bâtir un maillage associatif, de propulser des politiques publiques et notamment des multiservice », développe-t-il. Joël Giraud s’était alors fixé une double mission : « éviter que les cafés actuels ne ferment » et « en créer de nouveaux ».
Ces lieux où l’on aime s’asseoir cinq minutes, si l’on est pressé, ou une heure, si l’on a plus le temps, où « l’on sirote un café autant qu’un Calva ou qu’un verre de rosé », où l’on discute de tout et de rien en refaisant le monde ont été contraints de se réinventer. Pierrick Bourgault explique qu’aujourd’hui les gérants ont multiplié les activités, quitte à vendre « des cartes de pêche, des billets de train, des timbres ou faire de la réception de colis ». Des activités souvent peu rentables et éloignées de leurs compétences de base, mais qui ont le mérite d’attirer à nouveau les habitants. Le bistrot est-il toujours ce « Parlement du peuple » décrit par Balzac ? A l’heure du tout-numérique et de la dématérialisation à tout-va, il demeure un lieu unique à protéger.
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