Patrick Henry, architecte et urbaniste, a une (saine) obsession : « Essayer d’intervenir le plus tôt possible dans la chaîne de fabrication du projet urbain. » Et pour cela, il propose de démarrer au niveau du… sol ! Il s’y emploie au sein de son agence – Pratiques urbaines –, qu’il définit comme une « plateforme de recomposition territoriale », après s’être notamment constitué un solide bagage en Loire-Atlantique.
Il a piloté durant dix ans (2000-2010) la maîtrise d’œuvre urbaine du projet de l’île de Nantes. Egalement professeur à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, il dirige aujourd’hui le DSA en urbanisme. Et, fait semble-t-il peu courant dans ce type d’établissement, il y délivre justement un cours sur les sols. Car le sol n’est pas inerte. Il ne constitue pas non plus un simple support à constructions diverses.
Dans son ouvrage intitulé « Des tracés aux traces. Pour un urbanisme des sols » (éd. Apogées, janvier 2023), Patrick Henry retrace l’histoire de ce sol oublié, occulté. Il appelle à lui redonner une visibilité, à le « reconsidérer » et « à ne plus le consommer sans compter ». Le sol constitue un bien précieux et non pas une ressource illimitée. Le constat fait bien sûr écho à la loi « climat et résilience » et son injonction de ZAN à l’horizon 2050. « Une loi sans doctrine », aux yeux de Patrick Henry… D’où cet urbanisme des sols susceptible de « faire projet » et posé en alternative à la fois à l’étalement et à la ville dense.
Le sol est-il le grand oublié de l’aménagement et de l’urbanisme de ces cinquante dernières années ?
Souvent je dis à mes étudiants que nous transportons tous chaque jour un morceau de sol, à travers les minéraux présents dans notre téléphone portable. Pour autant, et c’est une forme de paradoxe, nous avons perdu la mémoire du sol, celle de son aspect polysémique. Car le sol nous parle d’histoire, de religion, de philosophie… Il façonne notre paysage. Nous avons aussi oublié qu’il constitue une ressource naturelle pour les fonctions environnementales et écologiques. Et que cette ressource n’est pas illimitée… Au cours des Trente Glorieuses, qui sont aussi les « trente catastrophiques » sur le plan environnemental, le sol a été négligé par l’agriculture extensive bien sûr, mais aussi par l’urbanisme. Pourtant, nous ne pouvons pas dire que nous ne savions pas… Dès le début du XXe siècle, des voix se sont élevées pour revendiquer et réclamer un aménagement plus attentif aux cycles et aux personnes.
Dans mon livre, je propose d’imaginer, dans le projet urbain, que l’on commence par connaître les sols : savoir sur lesquels on peut bâtir ou non, en fonction par exemple de leur valeur agronomique et écosystémique, et en privilégiant les constructions dans les aires déjà bâties, dans l’existant.
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