Investissez et investissez vert de préférence ! Il y a en ce moment de la part de l’Etat une incitation forte à s’endetter pour financer la transition écologique, « qui passe obligatoirement par les territoires » a insisté le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu lors de la journée sur le financement de cette transition par les collectivités organisée à l’Assemblée nationale le jeudi 2 février.
Outre les éventuels écueils techniques, financiers ou politiques, cette quasi-injonction à l’endettement vient aussi se fracasser contre une autre, défendue par Bercy qui oblige depuis dix ans les collectivités à maîtriser leurs dépenses de fonctionnement. Voilà donc les élus invités à devenir des financiers schizophrènes soumis à des injonctions contradictoires, résumées par Ludovic Halbert, enseignant-chercheur en géographie économique et urbaine au CNRS-Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS) :
« On identifie un rôle adverse des politiques de modération budgétaire qui affecte depuis une quinzaine d’années l’endettement et les dépenses publiques locales. Les marchés financiers et les traités européens exercent une pression sur l’Etat central qui en vient à adopter des politiques de consolidation budgétaire et qui les répercute en cascade sur les autres administrations publiques locales. Et les exécutifs locaux mettent en œuvre cette consolidation, avec une intensité plus ou moins forte, mais ils opèrent de multiples ajustements fiscalo-financiers qui prennent le dessus sur l’investissement public local.»
Pour les experts, le décalage entre la bonne santé des finances locales caractérisée par une grande capacité de désendettement ou un bon niveau d’épargne brute et les difficultés des collectivités à maintenir l’investissement faute de capacité budgétaire s’explique très bien : « le moyen est devenu la fin » résume encore Ludovic Halbert. « Les budgets locaux étaient historiquement pilotés dans la finalité de soutenir l’investissement mais ils sont maintenant dans une configuration où le pilotage budgétaire cible désormais ses propres ratios financiers. En conséquence l’investissement est cantonné à l’aval de la décision budgétaire. »
Autofinancement et dépenses de fonctionnement
Le gouvernement insiste sur l’investissement et plus particulièrement écologique ? En raison de cette réorientation stratégique décidée sous la pression de l’Etat, les pouvoirs locaux répondent derechef qu’il « faut d’abord sécuriser une capacité à générer de l’autofinancement » souligne Thomas Rougier, secrétaire général de l’Observatoire des finances et de la gestion publiques locale : « Si on veut que les collectivités fassent de la dette positive ou utile pour la transition écologique, il faudra un autofinancement pour l’accompagner », martèle-t-il.
Dans ce solfège en vigueur depuis plus d’une décade, c’est l’autofinancement, et donc le niveau de dépenses et particulièrement celles de fonctionnement qui donne le tempo des investissements. Baisser ces charges revient à retrouver des marges de manœuvre pour s’autoriser à investir. L’autofinancement représente pas moins de 80 % du montant total moyen d’un investissement aujourd’hui !
Mais cette gamme a sa relative : les dépenses de fonctionnement sont aussi la concrétisation du service public : « Quand on parle fonctionnement, on parle de fonctionnement des services publics, comme l’aide sociale, l’enfance, la sécurité, etc.. » rappelle Thomas Rougier. Réduire ces charges, c’est prendre le risque de réduire ces services. « La maîtrise des dépenses de fonctionnement permet la maîtrise de l’épargne brute mais n’en dessert pas moins la mise en œuvre des investissements, faute d’ingénierie et de personnel », rajoute Ludovic Halbert.
Du fonctionnement pour nourrir la transition écologique
Derrière la question de la réinterrogation du niveau de dette désormais acceptable au nom de l’investissement dans la transition écologique, il faudra aussi fixer le niveau de dépenses de fonctionnement acceptable pour continuer à assurer les services publics, mais accepter également une hausse de ces dépenses pour produire des services publics inscrits dans la transition écologique. « Il y a un enjeu RH extrêmement important qui permet de repenser les questions de fonctionnement et d’investissement de manière moins séparée qu’aujourd’hui », reconnait Daniel Florentin enseignant-chercheur en aménagement du territoire à l’Ecole des mines de Paris au LATTS qui rappelle que « 75 % du coût d’un équipement sur toute son cycle de vie vient de l’exploitation et de la maintenance ».
Or les enjeux écologiques imposent aux acteurs locaux de moins penser en termes d’équipement neuf qu’en termes de rénovation et de réhabilitation de l’existant, mais aussi de pilotage et d’animation de l’ensemble des politiques-climat. Selon I4CE, pour répondre à ces nouveaux besoins, il faudrait 30 000 ETP supplémentaires dans les collectivités d’ici 2025. « Investir dans la transition écologique, c’est en effet investir dans de nombreux ETP dans les collectivités » confirme Daniel Florentin qui conclut : « Avoir une transition écologique ambitieuse, cela passera nécessairement par un investissement dans la ressource humaine qui, dans la comptabilité, reste en dépense de fonctionnement. C’est un changement complet de philosophie dans ce qui a été pratiqué depuis une quinzaine d’années avec la pression sur les dépenses de fonctionnement. »
Le rapport AFL-Inet publié en juin 2022 sur le financement de la transition écologique dans les collectivités locales annonçait déjà la couleur : « une accélération des investissements semble logiquement aller de pair et même être précédée par une augmentation des dépenses de fonctionnement sur la fonction environnement. » Christophe Béchu devra donc convaincre Bercy non seulement de laisser filer l’endettement des collectivités, mais aussi de lâcher la bride sur les dépenses de fonctionnement. Une révolution ou rien.