Entre la recherche et l’action, c’est une démarche qui fait envie, souvent cogiter, mais dont le nom, parfois associé à la peur du contrôle, peut suffire à freiner les plus motivés. Faute de ressources, d’appui politique, de craintes sur les résultats finaux à la valorisation incertaine, l’évaluation des actions en faveur de l’égalité femmes-hommes apparaît régulièrement comme un cap difficilement franchissable.
« C’est un terrain encore en défrichage car il y a d’abord eu l’accent porté sur l’égalité professionnelle, la conquête des crédits et la mise en œuvre des actions sur les violences faites aux femmes », rappelle Karine Sage, consultante associée à Quadrant conseil et corédactrice d’un guide sur l’évaluation publié en octobre par le centre Hubertine-Auclert.
En matière d’égalité professionnelle entre les agents ou de prise en compte des inégalités entre les femmes et les hommes dans les politiques locales, la dynamique commence pourtant à s’inscrire dans les équipes, plus matures, chargées de ces sujets. « Il faut réussir à dédramatiser l’idée que toute évaluation nécessiterait un pilotage complexe. C’est aussi une posture qui permet d’adopter une pensée critique de l’action publique pour en questionner la pertinence des objectifs et faciliter la recherche d’éléments de preuve », complète-t-elle.
Se comparer à la moyenne des collectivités
Faute d’un index existant comme dans le privé, l’observatoire de l’emploi et de la fonction publique de Nouvelle-Aquitaine a, par exemple, conçu un baromètre en ligne pour objectiver la situation de chaque collectivité en fonction de douze indicateurs allant du diagnostic au plan d’action.
Avec une note agrégée purement indicative, il est possible de se comparer à la moyenne des collectivités de même taille. « En plus de l’accompagnement personnalisé qui peut être proposé, ce sont autant d’aides à la décision dont les collectivités peuvent s’emparer », souligne Aurélien Martin, l’un des agents qui a travaillé sur cet outil désormais à la disposition des centres de gestion et des préfectures. En Ille-et-Vilaine, la mise en œuvre du nouveau dispositif indemnitaire, le Rifseep, a été un levier d’évaluation en 2021 pour vérifier que l’attribution des primes, dépendante du type de fonction et non de la filière, était plus respectueuse de l’égalité.
Certes, la bataille de l’égalité s’appuie sur des dispositions légales et réglementaires plus contraignantes pour les collectivités de plus de 20 000 habitants (plans d’action pluriannuels, rapport de situation comparée), l’obtention séduisante de labels et est davantage scrutée dans la société ou même dans le champ de la commande publique avec des clauses spécifiques. En amont comme en aval, l’idée est d’éviter une évaluation qui resterait lettre morte.
En combinant des actions spécifiques et transverses, cette approche, dite « intégrée » de l’égalité, est une manière de promouvoir de nouveaux types de solutions et de collaborations entre les services. C’est déjà le cas plus explicite dans la programmation de contrats de ville.
Soutiens budgétaires à l’étude
Une autre entrée commune d’évaluation reste l’étude de soutiens budgétaires en délimitant l’impact de la variable du genre, par exemple dans les domaines du sport et de la culture. La région Bourgogne-Franche-Comté a ainsi souhaité évaluer les effets de sa politique de subvention aux ligues et aux comités régionaux sur les inégalités existantes, pas uniquement rapportée au niveau des licenciés mais aussi de la gouvernance ou des soutiens aux sports les plus demandeurs d’infrastructures.
Dans le département des Landes, une étude similaire a été lancée en interne par une agente sur une année et devrait être reproduite, cette fois sur le champ de la politique culturelle. Après une adoption en assemblée départementale qui aide « à acter » une réalité auprès des élus, « nous rencontrons les fédérations et les clubs pour diffuser ces constats et voir comment nous pouvons aider à corriger des biais. Même si nous avons développé des appels à projets spécifiques sur le sport féminin, l’idée n’est pas de pénaliser », affirme Salima Sensou, conseillère départementale, pour qui un bilan devient évaluation s’il est accompagné de préconisations.
Elaboration d’un budget sensible
L’essaimage d’une feuille de route partagée se construit aussi dès l’élaboration d’un plan d’action : à Quimperlé (12 000 hab., Finistère), signataire d’une charte européenne pour l’égalité où des mesures communes existent entre la ville et le reste de l’agglomération, chaque fiche action est accompagnée de la mention d’un « critère d’évaluation » et des « résultats attendus ». « Plus de 80 actions ont été référencées dans ce plan. Dans l’attente d’une prochaine évaluation, nous actualisons déjà le niveau d’avancement dans chacune d’entre elles et le communiquons en comité de direction », indique Pascale Douineau, adjointe au maire chargée de la vie associative et de l’égalité.
Plus globalement, la production d’une future évaluation peut être associée à une réflexion avancée sur l’élaboration d’un budget sensible, comme Nantes qui ambitionne d’être une « ville non sexiste » à horizon 2030.
Avoir un regard externe donne du poids à la démarche
Laura Murphy, chargée de mission
[Ville et métropole de Rennes (Ille-et-Vilaine) 43 communes • 457 400 hab.] Avant d’élaborer un nouveau plan d’actions à l’échelle métropolitaine, dont le précédent, circonscrit à la ville, remonte à 2013, Rennes a démarré une évaluation fin 2021 avec le cabinet Egae afin de juger les résultats des mesures déjà en place et l’identification de marges de progrès. Sans oublier une plus grande inclusion des acteurs de terrain et des communes de la métropole. « Avoir un regard externe qui donne aussi du poids à notre démarche était important. Leurs conclusions sont parfois mieux prises en compte », relève Laura Murphy, chargée de mission « droit des femmes et égalité femmes-hommes ».
Au-delà d’une liste des actions engagées, la pertinence de chacune d’entre elles a été examinée. Résultat : les actions spécifiques aux femmes prédominent, au détriment d’autres mesures plus transversales. « Rennes a été l’une des premières collectivités à se saisir en interne et publiquement du sujet de l’égalité. Avec un plan très ambitieux et plus de 150 fiches actions, il y avait aussi un besoin de se recentrer et de regarder les expériences innovantes réalisées ailleurs », ajoute Laura Murphy. Restée dans la confidentialité du comité consultatif ou de certains services, une synthèse publique sera prochainement publiée. Un tableau de bord trimestriel doit aussi permettre d’associer des directions moins engagées sur ce sujet.
Contact. Laura Murphy, l.murphy@rennesmetropole.fr
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