A croire que se montrer bon élève face au gouvernement n’épargne pas les vexations. Plutôt disposé à débattre du PLF pour 2023 dans un état d’esprit « constructif » selon les termes utilisés par la Première ministre lors de sa venue à la convention des intercommunalités de France le 7 octobre à Bordeaux, Sébastien Martin, président de l’association des EPCI, a montré lors de ses vœux 2023 le 24 janvier à Paris un état d’esprit plus revendicatif.
La raison principale de son agacement tient en deux mots : taxe d’aménagement. La reculade du gouvernement opérée en LFR pour 2022 sur l’obligation faite aux communes de reverser tout ou partie du produit de la taxe d’aménagement à leur EPCI à partir de 2023 – telle que l’avait pourtant défini la loi de finances pour 2022 – ne passe pas. « C’est au minimum une erreur, au pire une faute » a-t-il lancé devant la nouvelle ministre délégué chargée des Collectivités territoriales Dominique Faure.
Injustice fiscale
On peut comprendre l’irritation : en préservant le caractère facultatif de ce reversement d’une taxe qui a généré plus d’un milliards de recettes en 2021 aux communes, le président d’Intercommunalités de France craint des cas « d’enrichissement sans cause » des communes membres. Celles-ci percevraient de la taxe d’aménagement, par exemple, sur des zones d’activité économique qui sont depuis la loi NOTRe exclusivement de compétence communautaire, ou sur des équipements structurants communautaires réalisés et financés par leur EPCI de rattachement et pour lesquels la commune membre n’a à assumer aucune charge d’équipement et de viabilisation.
C’est pour réparer cette injustice fiscale que le législateur a tenu en 2022 à rétablir la symétrie du reversement. Mais l’échec des négociations et les crispations autour de la répartition de ce produit dans nombre d’assemblée délibératives communautaires ont poussé le Sénat puis l’Assemblée nationale à donner du temps au temps. C’est justement ce que les territoires n’ont plus. L’approche des sénatoriales n’y est probablement pas étranger non plus.
Quand le ZAN s’en mêle
A cet imbroglio politico-fiscal s’en ajoute un autre : l’objectif du Zéro artificialisation nette (ZAN) des sols exige des collectivités de réduire de 50 % le rythme d’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020. L’ex-AdCF s’était très tôt inquiété du couplage potentiellement pervers de cette mesure avec la fin de la taxe d’habitation et la course au rendement fiscal du foncier que cette réforme pouvait engendrer.
Dès 2019, l’association écrivait : « A un moment où le gouvernement souhaite inciter les collectivités à tendre vers la consommation foncière nette zéro et à re-densifier les formes d’aménagement, il faut veiller à ce que la réforme fiscale n’accentue pas les incitations économiques à l’étalement urbain. » Et de conclure : « Il est souhaitable de mutualiser [avec les intercos] une part de la taxe foncière en provenance des départements pour éviter le risque de développement désordonné et consommateur de foncier ». Cette proposition non-retenue, les intercos espéraient bien être entendues au moins sur la taxe d’aménagement. Pas davantage.
La taxe d’aménagement, bras armé fiscal du ZAN
Plus circonspect, le Conseil de prélèvement obligatoire estime dans un rapport remis à la Commission des finances du Sénat en octobre dernier que « Le rôle de la fiscalité locale dans la mise en œuvre du ZAN est en réalité assez marginale » analyse l’un des auteurs David Carmier. « La fiscalité n’est pas en soi artificialisante, c’est le modèle de développement urbain qui l’est » assure-t-il.
L’accroissement du panier de ressource peut en effet passer par des stratégies de densification sans entamer le stock de foncier. En d’autres termes, il existe des solutions fiscales pour contourner le problème de consommation des espaces naturels et agricoles tout en préservant une certaine dynamique fiscale. Parmi elles, le CPO propose d’utiliser, comme levier d’incitation à l’objectif ZAN… la taxe d’aménagement.
En lui accolant des bonus-malus selon un zonage défini par la collectivité, cette taxe devient un outil fiscal au service du ZAN. Cette même taxe d’aménagement dont les intercommunalités ne bénéficieront peut-être pas du produit correspondant ni à leurs efforts d’aménagement, ni à leur stratégie de préservation des sols, à cause du retour au reversement facultatif décidé par le gouvernement.
Cette décision est d’autant plus paradoxale que l’exécutif a suivi les propositions du COR via l’article 17 de la LFR et l’article 65 de la loi de finances pour 2023 mettant en place une double adaptation de la taxe d’aménagement avec l’augmentation de l’assiette pour les opérations les plus artificialisantes et des exonérations pour les opérations de dépollution ou de renaturation. Dans le détail, la loi de finance pour 2023 augmente par exemple la valeur forfaitaire des aires de stationnement non comprises dans la surface de 2 000 à 2 500 € par emplacement. À compter du 1er janvier 2024 ce montant passera de 2 500 à 3 000 €. En outre, la loi de finances réévalue le plafond dans la limite duquel les EPCI et les communes peuvent, par délibération, augmenter la valeur forfaitaire des aires de stationnement. Ce plafond passe de 5 000 € actuellement à 6 000 € en 2024.
Même encore peu révolutionnaires, ces dispositions montrent bien que le gouvernement a compris l’opportunité de s’appuyer sur la taxe d’aménagement pour piloter la consommation foncière et que c’est au bloc communal de tenir le manche. Mais pour le moment, l’EPCI se contentera du poste de co-pilote, voire de simple passager.
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