Selon 65 % des collectivités françaises, l’utilisation de la donnée a un impact positif sur la gestion de leurs services (1). Il y a fort à parier que ce pourcentage va rapidement augmenter. La prise de conscience de l’importance de la maîtrise des données a d’abord été le fait de pionniers, souvent animés par une volonté de transparence autour de l’open data. Elle a ensuite été portée par des villes, essentiellement des grandes métropoles engagées dans des stratégies de territoires intelligents et confrontées à la nécessité de maîtriser le déploiement d’outils numériques massivement producteurs et consommateurs de données. Elle a été accompagnée par l’évolution d’un cadre juridique qui reste mouvant.
Mais si la prise de conscience de ces enjeux concerne aujourd’hui des communes et des EPCI de toute taille, c’est aussi sous l’impact de deux crises. La première a été la crise sanitaire, qui a montré à tous l’importance des données dans la prise de décisions à fort impact (données liées à l’épidémie ou aux vaccinations). La seconde est la crise énergétique. En quelques mois, des centaines de collectivités se préoccupent – enfin ! diront certains –, des données des compteurs équipant les bâtiments publics. Elles cherchent, parfois dans la précipitation, à collecter et à analyser de la data sur l’éclairage public, l’utilisation des locaux, etc.
Prise de conscience
Il y a tout lieu de se féliciter de cette prise de conscience, au risque que ces données soient massivement exploitées par d’autres, conduisant à une forme nouvelle et insidieuse de privatisation de la gestion publique. Mais attention ! Le « marché de la data territoriale » ouvre la porte à d’importantes dérives. La virtuosité sophistiquée, avérée ou parfois factice, de certains outils d’analyse conduit des collectivités à livrer leurs données à des acteurs peu regardants sur des questions essentielles : la protection des données personnelles, la souveraineté publique sur des données d’intérêt général, ou même la souveraineté nationale. Il est ainsi surprenant de voir percer, sur notre marché territorial, une célèbre société américaine – Palantir – dont les liens d’origine avec la CIA ont été très largement documentés.
Il est aussi surprenant de voir des collectivités qui découvrent ces sujets débuter par l’installation d’outils d’intelligence artificielle branchés sur la vidéoprotection. Si les objectifs peuvent être louables (fluidification de la mobilité, détection de dépôts de déchets, sécurité…), il s’agit malgré tout d’usages de la donnée parmi les plus complexes à maîtriser. Les enjeux juridiques, éthiques, techniques et même démocratiques liés à leur déploiement ne sont pas anodins et ne se règlent pas par un contrat avec le prestataire retenu.
N’attendons pas la troisième crise (la crise environnementale est déjà présente) pour affirmer avec force que la gestion des données ne s’improvise pas. Elle suppose des règles, l’organisation d’une « fonction data », un cadre de gouvernance adapté aux priorités de chaque territoire. A cette condition, la donnée territoriale sera une ressource au service de l’action publique. A défaut, rien ne garantira qu’elle servira demain l’intérêt général.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 « Les collectivités territoriales et la donnée », enquête nationale 2022, Observatoire Data publica. Retour au texte