Augmentera, augmentera pas ? Le coût des services des trains express régionaux (TER) est au cœur d’un bras de fer entre les régions, l’Etat et la SNCF en ce début d’année. Réunis au sein de Régions de France, le 16 janvier, les présidents de région ont fait le point. Ils réclament des justificatifs concernant les hausses de coûts avant de définir une position commune.
A ce stade, l’association ne souhaite pas communiquer officiellement. « On ne donne pas d’éléments sur une négociation en cours, au risque de faire capoter les discussions, souffle un interlocuteur à Régions de France, sous couvert d’anonymat. Les élus sont au milieu des négociations pour obtenir des justificatifs. Ensuite, ils établiront une stratégie. Il y a deux possibilités : soit les régions s’en tiennent au cadre contractuel et mettent en œuvre les clauses de revoyure, soit elles contestent l’équilibre contractuel. »
Des tarifs de billets revus à la hausse
Au lendemain de la réunion, une autre source précise que Carole Delga, présidente (PS) d’Occitanie et de Régions de France, devait rencontrer la Première ministre courant janvier afin de demander à l’Etat le déploiement d’un bouclier tarifaire sur le coût de l’électricité pour SNCF Voyageurs concernant les services TER, conformément au souhait des élus. Une suggestion restée sans réponse du gouvernement à ce jour.
En septembre, Jean-Pierre Farandou, président du groupe SNCF, avait préparé les esprits, annonçant une augmentation des coûts de l’électricité pour SNCF Voyageurs estimée entre 1,6 et 1,7 milliard d’euros cette année, dont la moitié pour les services de TER et le réseau francilien, soit près de 850 millions d’euros. Un montant qui équivaut presque au double de l’estimation réalisée par Régions de France, au regard des indices de prix de l’Insee. Depuis, les exécutifs régionaux arrêtent des choix politiques variables. Dans les Pays de la Loire, la majorité « Les Républicains » a annoncé une hausse des tarifs de TER pour 2023. De même que celle de Laurent Wauquiez (LR) en Auvergne - Rhône-Alpes et de Renaud Muselier (Renaissance) en Paca.
Dans chacune de ces régions, ces hausses concernent plus les usagers occasionnels que ceux du quotidien. Ce qui rejoint une demande de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). « Notre position est d’aller vers une tarification solidaire et de faire porter l’augmentation sur les billets occasionnels plus que sur les abonnements », réagit Christian Broucaret, président de la Fnaut « Nouvelle-Aquitaine », chargé des sujets relatifs aux TER.
En Occitanie, l’exécutif n’élèvera pas ses tarifs cette année et a même élargi son offre de TER « à 1 euro » : le premier week-end de chaque mois, tous les billets sont vendus un euro. Carole Delga, la présidente, précisant, le 16 janvier, au micro de « France Bleu Occitanie », que « les pénalités déjà conséquentes appliquées à la SNCF en cas de retard de nos trains régionaux seront augmentées ». Un sujet brûlant dans les Hauts-de-France, qui amène la majorité de Xavier Bertrand (LR) à refuser toute possibilité de hausse des tarifs. « Nous n’avons pas augmenté les tarifs depuis 2016. Au départ, on s’est dit : “L’inflation est là, on va peut-être devoir augmenter”, raconte Franck Dhersin, vice-président chargé des transports. Mais le service est déplorable, avec un plan de transports “adapté” qui supprime 140 trains par jour jusqu’en septembre, par manque de conducteurs. Cela entraîne aussi une baisse des coûts d’exploitation. Nous allons défalquer un certain nombre de choses. La discussion portera d’abord là-dessus. » Il manquait 65 conducteurs à l’automne et, d’après lui, la SNCF en aura formé 29 à fin février.
Un effet d’aubaine impossible
Surtout, dans les Hauts-de-France comme ailleurs, pas question de signer un chèque en blanc. « La SNCF dit : “On est transparent”. Mais nous n’avons pas de documents qui prouvent le prix de l’électricité. Si nécessaire, avec Régions de France, nous intenterons une action auprès de l’Autorité de régulation des transports afin d’obtenir des justificatifs », prévient Franck Dhersin Ensuite, selon les éléments fournis au cas par cas, les régions auront deux possibilités : soit activer les clauses d’indexation des tarifs inscrites dans les conventions, soit contester l’équilibre contractuel, si elles estiment qu’elles n’ont pas les éléments nécessaires. Sollicitée, la filiale SNCF Voyageurs nous indique, par un mail du service de presse, que « les conventions TER […] prévoient des mécanismes d’indexation à la hausse comme à la baisse. C’est d’autant plus important que les prix d’achat de l’électricité varient tous les jours. Compte tenu [des] contrats qui nous lient, il est impossible que l’opérateur puisse profiter d’un hypothétique effet d’aubaine. »
Des régions disposent d’un moyen de pression supplémentaire avec l’ouverture à la concurrence. Dans les Hauts-de-France, le candidat pour le premier lot sera désigné ce printemps, alors que la convention avec la SNCF se termine en fin d’année. Un contexte a priori favorable pour la région. Franck Dhersin confirme : « Les négociations ont commencé et les discussions sont beaucoup plus faciles qu’il y a quatre ans. Maintenant, la SNCF accepte des choses concernant les pénalités et les coûts. » Le constat d’un rééquilibrage des relations est partagé par les Pays de la Loire.
Réorienter les recettes autoroutières ?
Les élus régionaux alertent sur le fait que le transport ferroviaire se trouve à un moment charnière. Solution de mobilité durable, il manque sérieusement de moyens pour atteindre les ambitions de la transition écologique des mobilités. « Il faut revoir tout le financement des transports publics, estime Roch Brancour, vice-président de la région Pays de la Loire. Il s’agirait, par exemple, de réfléchir à la réorientation des recettes des concessions autoroutières [3,9 milliards d’euros de bénéfices nets en 2021, ndlr] vers les transports urbains. » Régions de France, la Fnaut et le Groupement des autorités responsables de transport demandent aussi la baisse de la TVA à 5,5 %.
Et les régions appellent surtout l’Etat à investir dans le réseau. « Il se délite très rapidement ! s’alarme Franck Dhersin. Nous perdons du temps, les incidents vont se multiplier. » L’élu cite un talus de plus de 15 mètres, selon lui, non entretenu, dont l’effondrement, en novembre, a entraîné l’arrêt, depuis, de la ligne Calais-Boulogne. Les élus refusent d’être les seuls contributeurs, notamment par l’augmentation de 4 % prévue en 2024 des péages payés à SNCF Réseau pour faire circuler les TER. « Nous subventionnons déjà le service à 73 %. Si les coûts augmentent et les péages aussi, cela ne pourra pas durer ! » insiste-t-il.
Interrogé, le ministère des Transports nous a répondu par écrit : « Le contrat de performance 2021-2030 entre l’Etat et SNCF Réseau prévoit un niveau d’investissements historiquement haut […]. La régénération du réseau structurant atteint un niveau proche de 2,9 milliards d’euros chaque année, contre 2,1 milliards il y a dix ans ». Largement insuffisant selon les présidents de région : dans une tribune parue en octobre dans « Le Monde », ils réclamaient 10 milliards d’euros par an, pendant dix ans.
« Nous avons calculé des augmentations de prix différenciées pour les usagers quotidiens et occasionnels des TER »
Roch Brancour, vice-président (LR) chargé des transports de la région Pays de la Loire
Pourquoi la région Pays de la Loire a-t-elle décidé d’augmenter les tarifs des TER ?
Le service public a un coût et il y a un contexte inflationniste. Nous ne voulons pas faire croire aux gens que la hausse des coûts de l’électricité n’a pas d’impact. Politiquement, il est normal que l’usager participe pour partie, l’augmentation ne doit pas être seulement payée par le contribuable. La région prend en charge 70 % du prix du billet.
Comment avez-vous estimé ce surcoût ?
Les services ont fait une estimation au regard des indices, pas seulement sur les TER, mais sur tous les contrats de transports. Le surcoût est de 30 millions d’euros en 2023, que nous avons lissés sur tous les modes de transports, ferroviaire, cars… Pour les TER, nous avons calculé des augmentations de prix différenciées pour les usagers quotidiens et ceux qui sont occasionnels. Nous avons aussi fait attention aux longs parcours.
La SNCF a-t-elle justifié ces hausses ?
C’est en cours de discussion. Dans la convention, les formules d’indexation des coûts existent. La SNCF nous soumet un devis et, en juin, nous actualiserons les chiffres. Les relations avec la SNCF sont bonnes, la procédure de mise en concurrence [lancée fin 2021, ndlr] rééquilibre les choses. Nous n’aurons jamais la transparence totale, mais on maîtrise mieux la manière dont s’élaborent les coûts, depuis trois ans.
Des RER métropolitains, mais avec quels moyens ?
Dans les cartons de plusieurs métropoles depuis de nombreuses années, les projets de réseaux express régionaux ont pris la lumière à la faveur d’une petite phrase d’Emmanuel Macron fin novembre. Toutefois, le Président s’est bien gardé de répondre à la question centrale : avec quels moyens ?
A Strasbourg, où le réseau métropolitain européen a été inauguré en fin d’année, les investissements s’élèveront à 1,3 milliard d’euros quand la deuxième phase sera terminée, en 2027. Et les coûts d’exploitation de cette offre sont évalués à 14,5 millions d’euros par an, payés par la région et la métropole. Mais, un mois après son lancement, les collectivités n’étaient pas satisfaites du service proposé par la SNCF : 509 trains ont été supprimés la première semaine, dont 200 faute de conducteurs. « C’est un échec cuisant pour la direction, qui a décidé de foncer malgré les alertes des cheminots sur les moyens humains et techniques », estime la CGT Cheminots.
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