Nichée à l’article 229 de la loi « 3DS » du 21 février 2022, la nouvelle compétence des chambres régionales des comptes (CRC) en matière d’évaluation des politiques publiques territoriales était jusqu’alors passée sous les radars. Pour cause, son décret d’application se faisait attendre et n’a finalement vu le jour que le 11 décembre.
On sait désormais qu’il existe deux modes d’intervention de la CRC : elle peut procéder de sa propre initiative à l’évaluation d’une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion et elle peut aussi être saisie par le président du conseil régional, départemental ou métropolitain.
« L’ajout, par le décret, de cette autosaisine de la CRC n’était pas du tout attendu ! s’étonne Agathe Delescluse, avocate spécialiste des collectivités au cabinet Seban et associés. Avec cet ajout du pouvoir réglementaire, il y a une différence entre les régions, les départements et les métropoles, qui pourront saisir les CRC s’ils le souhaitent, et les autres collectivités, qui se verront appliquer une évaluation de leur politique territoriale de la seule volonté de la CRC. » Elle craint que cet apport ne braque les élus locaux, à qui la réforme avait été présentée comme un instrument à leur disposition.
Un examen, pas une censure
Du côté des juridictions financières, le propos se veut plus rassurant. Frédéric Advielle, président de la CRC des Hauts-de-France, voit dans cette autosaisine « l’opportunité d’établir un examen de l’efficience de la politique publique territoriale avec la collectivité, et non une censure de celle-ci ». « Toutes les évaluations se feront avec le partenariat de la collectivité concernée » ajoute celui pour qui évaluer avec la collectivité est une condition sine qua non de la réussite de la réforme.
Spécialiste des questions d’évaluation des politiques publiques et auteur d’un rapport sur le sujet paru en 2020, Bruno Acar se réjouit de voir les CRC dotées d’une telle compétence pleine et entière, à l’instar de la Cour de comptes. « Cette réforme est un pas important pour l’évaluation des politiques publiques, qui prend, ces derniers temps, de l’ampleur, mais encore de manière non structurée, observe-t-il. La participation des CRC à des démarches d’évaluation n’est pas nouvelle, néanmoins, leur montée en puissance en la matière va dans le bon sens. »
Vers plus de transparence
La question de la mise en œuvre de la réforme reste toutefois entière. « Les CRC vont-elles se saisir de cette nouvelle compétence ? » interroge Bruno Acar. « Notre vigilance porte sur les moyens pour que cette nouvelle compétence n’empiète pas sur les autres », souligne Pierre Genève, le président du Syndicat des juridictions financières unifié, qui note cependant que ses collègues ont réservé un accueil favorable à la réforme.
L’autre inconnue demeure la prise en main de cette réforme par les collectivités. Car, si la loi leur permet de saisir la CRC pour évaluer leur politique publique, auront-elles envie de se soumettre à cet exercice ? « Le législateur a fait le choix de cantonner la réforme aux grandes collectivités afin de ne pas surcharger les CRC. Mais les grandes collectivités ont déjà, en interne, les moyens d’évaluer leurs politiques territoriales. Le besoin d’évaluation était du côté des petites et moyennes » regrette Bruno Acar.
Pour autant, la réforme pourrait devenir un instrument politique à l’avantage de celui qui saura la manier. « On peut très bien envisager qu’une nouvelle majorité politique à la tête d’une collectivité se serve de cette réforme pour faire pointer du doigt, par la CRC, les carences de ses prédécesseurs », prédit Agathe Delescluse, qui y voit aussi un outil au service de la transparence de la vie publique locale. Pile dans l’air du temps.
« La mesure est bonne, mais l’autosaisine introduite par le décret nous interroge »
Isabelle Duchefdelaville, présidente de la Société française de l’évaluation
« L’élargissement des compétences des CRC est une bonne mesure. Elle incitera certainement les collectivités à développer davantage les évaluations de politiques publiques. L’autosaisine des CRC introduite par le décret nous interroge néanmoins, car il est difficile de réaliser une évaluation contre l’avis de la collectivité.
Limitée dans un premier temps aux grandes collectivités, déjà bien dotées en compétences internes, cette réforme pourrait aussi être une opportunité de faire se rencontrer les évaluateurs d’un même territoire, qui se connaissent mal. On peut regretter que le champ de compétences des CRC ne permette pas d’évaluer également les nombreux domaines de politiques partagées entre l’Etat et les collectivités, qui sont un angle mort de l’évaluation. »
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