Qu’ils représentent le ministère de l’Éducation nationale (MEN), le secrétariat général pour l’investissement (SGPI), la Banque des territoires, les entreprises privées de la filière EdTech, éditeurs de ressources et concepteurs de solutions technologiques, ou les collectivités, les participants des tables rondes organisées autour de la question de l’avenir du numérique éducatif au salon Educ@tech de Paris, du 30 novembre au 2 décembre 2022, ont affiché une belle unanimité sur deux points : le sujet impose la structuration d’un « écosystème engagé au service d’une politique publique partagée », selon l’expression du directeur du numérique éducatif au MEN, Audran Le Baron, et « la marge de progression au regard de l’enjeu est immense », comme l’a estimé le président de la commission Education de Régions de France et vice-président d’Occitanie Kamel Chibli.
Seulement, une fois ces constats posés, chacun a fait part de divergences d’appréciation sur les recettes à appliquer pour « passer à l’échelle : amener 860 000 enseignants aux appétences différentes pour l’objet numérique à s’en emparer » pour le mettre au service de leurs douze millions d’élèves, a observé un intervenant du MEN, Philippe Ajuelos. « Un travail de longue haleine », a-t-il poursuivi.
Optimisme ministériel
Le dispositif est en cours, s’est réjouie la coordinatrice nationale de la stratégie d’accélération pour l’enseignement et le numérique au SGPI, Mireille Brangé. En vantant une politique de l’État « qui tranche avec les plans antérieurs », car elle « n’est pas guidée par un esprit jacobin », qu’elle vise « des investissements systémiques » et ne se contente pas de livrer des matériels « qui, faute d’usages, pouvaient rester soigneusement intacts ou peu utilisés ».
Les enseignants sont désormais « d’emblée formés aux équipements et aux ressources », et les parents, considérés comme « acteurs à part entière ». Elle l’a illustré par les Territoires numériques éducatifs (TNE), à l’état de « démonstrateurs » dans douze départements, « dont l’avenir dira s’ils nous permettent de grimper une marche supplémentaire ».
« Ces expérimentations sont déjà riches d’enseignements, a commenté à La Gazette le ministre Pap Ndiaye, en visite sur le salon. Nous envisagerons d’en faire bénéficier d’autres territoires si les retours d’expérience sont concluants, et ils le seront », a-t-il complété. Un optimisme qu’aucune évaluation n’est toutefois venue étayer à ce jour.
« Pas les moyens du ‘‘Quoi qu’il en coûte’’ »
Professeur d’anglais et référent numérique du collège Blaise-Pascal de Viarmes (Val-d’Oise), situé dans l’un des deux premiers TNE lancés avec l’Aisne, Arthur Borrewater apprécie la mise à disposition par le Conseil départemental de tablettes, de vidéoprojecteurs interactifs (VPI) dans chaque salle de cours, d’ordinateurs pour chaque enseignant ainsi que dans la salle informatique, « du matériel récent et fonctionnel ». Il aurait néanmoins aimé une dotation plus massive que la soixantaine d’iPad, son établissement comptant 650 élèves. Ce qui en limite de facto l’utilisation, outre de contraindre l’enseignant à les transporter d’un lieu à l’autre… lorsqu’ils sont disponibles.
« Certains collègues y ont souvent recours, jusqu’à quasi quotidiennement, d’autres, peu, parce que l’accès au matériel est compliqué ou qu’ils estiment que ça ne les servira pas dans leurs pratiques pédagogiques ou encore parce qu’ils n’y ont pas été formés », témoigne-t-il. Une formation qui, cela dit, a été proposée à tous. Mais « l’Education nationale ne sait pas former ses professeurs, en formation initiale comme continue », déplore le référent numérique et éducation de l’Association des petites villes de France (APVF) et maire de Trilport (Seine-et-Marne) Jean-Michel Morer, lui-même enseignant. « Nos communes rencontrent des difficultés budgétaires, ajoute-t-il. La moindre des choses pour celles qui font de l’équipement numérique de leur école une priorité, c’est qu’il soit utilisé. » « L’État doit embarquer tous les enseignants d’un territoire », soutient de même Kamel Chibli.
Les plus beaux plans du monde
« Dans un contexte de raréfaction de l’argent public, un euro dépensé doit être un euro utile, d’autant que les collectivités n’ont pas les moyens du ‘‘Quoi qu’il en coûte’’ », insiste Kamel Chibli. En interpellant l’État : « Où va-t-on ensemble ? Au service de qui ? Pour faire quoi ? Et qui fait quoi ? » Il a « plutôt le sentiment » d’un gouvernement « peu volontariste », tandis que les régions sont, elles, « très offensives : elles investissent dans les outils, dans les fournitures scolaires et travaillent à améliorer la ressource numérique », décrit-il.
« On se sent bien seul, lâche-t-il. Le bâti, les agents d’entretien, c’est normal, ça relève de notre compétence. Mais on n’est pas compensé pour les autres actions que nous menons. Si nous ne sommes pas accompagnés, au-delà du discours, sur ces investissements, il arrivera un moment où, n’étant pas sur une compétence obligatoire, ce ne sera plus une priorité pour nous, au regard de nos contraintes financières. »
« Quand vous ne mettez pas l’argent nécessaire, vous pouvez avoir les plus beaux plans du monde, ça ne marche pas, s’agace-t-il. Parce que le numérique, ça coûte. » Aussi revendique-t-il, « pour les régions comme pour l’ensemble des collectivités, maillons essentiels de la chaîne, d’être considérées comme actrices totalement parties prenantes, devant donc être associées dans un cadre de coconstruction ».
« Travaillons ensemble, partageons les expériences, faites confiance aux territoires », lance-t-il à l’Etat.
Educatif avant d’être numérique
Si Kamel Chibli et Jean-Michel Morer saluent l’inscription du numérique éducatif à l’ordre du jour de la prochaine séance, jeudi 15 décembre, de l’instance de dialogue Etat-collectivités, ils se montrent prudents. « On jugera sur les actes », commente le premier. « Nous dirons ce qui est recevable ou pas à nos yeux », assure le second, en insistant sur le fait que « le numérique éducatif, avant d’être numérique, est éducatif. Cela signifie ne pas se limiter à l’outil, mais s’intéresser à l’usage qu’on en fait, s’en servir comme un levier pour des pédagogies plus interactives et inclusives. »
« Nous sommes en train de finaliser notre future stratégie », a, de son côté, annoncé le directeur du numérique éducatif du MEN, Audran Le Baron, pendant le salon. « Il reste des étapes de validation à prévoir en haut lieu, mais nous espérons pouvoir la présenter au ministre dès début 2023 », a-t-il précisé. « Attention à ne pas simplement nous réunir pour valider un projet déjà décidé ailleurs », prévient toutefois Kamel Chibli. Qui « n’aurait alors pas d’état d’âme à le dénoncer ».
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