La cyberviolence fait peur aux parents et éducateurs par son caractère incontrôlable, car elle se passe dans l’intimité des adolescents et que ceux-ci ne la dénoncent pas forcément. D’après vos enquêtes, a-t-on raison de craindre les dérives de l’usage des réseaux sociaux pour les adolescents ?
Les réseaux sociaux sont un vecteur supplémentaire mais ne sont pas les raisons des cyberviolences. Elles proviennent des interactions au collège ou à l’extérieur de celui-ci, entre jeunes qui se connaissent. Les réseaux sont une manière de contrôler la socialisation de genre entre eux, c’est-à-dire faire en sorte que chacun se comporte de la manière attendue d’une fille ou d’un garçon.
L’un des problèmes du numérique vient de son fonctionnement par « like » et « posts » qui encourage les commentaires très binaires et la démultiplication des messages. Les jeunes, comme leurs parents, ne maîtrisent pas l’amplification des messages que le « buzz » crée, ni les traces que cela laisse dans la sphère publique.
Comment se manifestent les violences sexistes et sexuelles à l’école ?
Elles ciblent beaucoup les filles sur l’apparence physique, la tenue, les comportements. Le contrôle par les pairs passe par les insultes de « pute » ou « salope » à l’adresse des filles mais aussi des garçons. Les filles peuvent être ciblées par l’insulte de « pédé » et encore plus les garçons, s’ils ne se montrent pas assez virils.
Les garçons sont davantage contraints par la force, les bousculades, les coups, les menaces et les baissés de pantalon. Les filles, pour leur part, sont la cible de mimes sexualisés, de tentatives d’attouchements ou d’embrassades. Mais les garçons ne sont pas épargnés non plus. Ces comportements s’imbriquent dans la communication digitale par l’envoi de sextos qui ciblent davantage les filles, avec des photos et vidéos pornos.
Mais il se passe beaucoup plus de choses dans les établissements scolaires que sur Internet. Les pressions sur les attitudes féminines et masculines ont lieu au collège dès la 6e. Les personnes les plus ciblées de l’établissement sont aussi les plus ciblées en ligne.
Quelles sont vos recommandations aux encadrants périscolaires, à la communauté éducative ?
Je recommande de ne pas culpabiliser le ou la jeune qui se serait mis en scène sur les réseaux. On ne peut pas regretter qu’ils ne parlent pas et les culpabiliser dès qu’ils parlent… L’interdiction des réseaux ou du téléphone n’est pas non plus une solution car c’est enfermer, désocialiser le jeune. En revanche, il faut les aider à identifier ce qui se passe et pour cela, avoir de vraies discussions autour de ces pratiques en famille et à l’école.
Dans le cadre scolaire, évoquer l’usage des téléphones, de la sexualité, des médias, fait partie des prescriptions. Ces questions tournent autour des violences et pourtant on n’en parle pas directement.
Nous conseillons de partir de la parole des jeunes eux-mêmes avec des groupes pionniers, comme les délégués de classe, pour discuter des pratiques, tout en essayant de ne pas faire la morale. Il s’agit de cerner les enjeux et de faire de la prévention. Les jeunes sont les meilleurs vecteurs entre eux car ils se confient avant tout à leurs pairs.
Il est aussi important qu’ils aient une personne ressource. C’est souvent l’infirmière, le CPE (conseiller principal d’éducation) ou le professeur principal mais tous les personnels devraient être formés et informés car ils peuvent se trouver au bon endroit au bon moment. On pourrait faire le lien avec le dispositif Phare, contre le harcèlement, qui dispose d’ambassadeurs dans les établissements. On réalise la nécessité de formation de chaque adulte de la communauté éducative quand 10 % des jeunes rapportent avoir entendu de la part des adultes des propos sexistes et homophobes.
Références
- Sous la direction de Sigolène Couchot-Schiex et Benjamin Moignard : Jeunesse, genre et violences 2.0 (L'Harmattan ; 2020).
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