C’est la rentrée et l’agenda se remplit déjà très vite. Débats brûlants, dossiers sensibles, sujets surprises, conversations badines, colloques importants, échéances stressantes, etc. Un thème ne sera pourtant pas abordé, en tout cas frontalement, intégralement et sincèrement : la fiscalité locale. C’est en fait presque normal, on parle plus rarement des morts.
Enterrement en fin d’année
La fin d’année 2023 marque l’enterrement d’une certaine idée de la décentralisation, de la proximité du pouvoir, de la décision et du développement local, avec la fin de la CVAE et le dernier paiement de la taxe d’habitation pour les 20 % des Français qui la paient encore (hors résidence secondaire). Bien sûr, les médias vont encore parler de « l’explosion » de la taxe foncière, comme au printemps au moment des votes des budgets. Un « marronnier » dont on parle deux fois par an, quand il fleurit et quand les marrons tombent. Cette actualité aurait pu presque faire plaisir aux acteurs locaux pointés du doigt qui ont l’impression ainsi d’avoir encore la main sur le manche fiscal.
Etoile morte
La taxe foncière est ainsi devenue une étoile supernova bien brillante de la fiscalité locale mais en fait déjà implosée loin de nos yeux. La TVA est le nouveau soleil des territoires. Pour le moment, les observateurs des étoiles fiscales ne sont pas d’accord entre eux pour savoir quelle est la plus brillante.
Pour l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) avec Fipeco, la TVA est en 2021 déjà devenue la première ressource fiscales des collectivités avec 37,4 milliards d’euros contre 35,4 milliards pour la taxe foncière (TFPB).
Pour la DGFiP, ce n’est pas encore le cas : « en intégrant les compensations versées par l’Etat (PSR VLEI, delta entre surcompensations et sous-compensations suite à l’application du coefficient correcteur), la TFB reste la ressource principale avec un produit de 36,8 milliards d’euros. Elle est suivie de la TVA (32 %), dont le produit s’élève à 32,6 milliards d’euros » souligne-t-elle dans une note de juillet sur la réforme de la taxe d’habitation sur les résidences principales et ses impacts.
TVA en majesté
Mais ces débats seront déjà obsolètes d’ici la fin de l’année si les 9,6 milliards d’euros de CVAE sont supprimés et totalement compensés par l’Etat comme Elisabeth Borne l’a encore confirmé lundi 29 août lors de la première journée des universités d’été du Medef. Dans ce cas – très probable tout de même en cas d’utilisation de l’article 49.3 pour le vote du budget – la TVA sera bien la première ressource fiscale des collectivités et brillera comme le symbole de la fin d’une époque.
Laissons de côté le débat sur le bien-fondé ou l’efficacité de l’autonomie fiscale bien française, abondamment discutés et documentés, notamment par le Club Finances lui-même.
La reprise en main de l’évolution des recettes des collectivités par l’Etat devrait entraîner de facto une égale reprise en main de ses dépenses. Or, c’est tout le contraire qui se passe. L’Etat pousse toujours les collectivités à davantage investir, développer les services publics, agir sur l’éducation, la cohésion sociale, les transports, le développement économique et maintenant l’environnement et la transition écologique, sans que les moyens supplémentaires essentiellement des dotations de soutien à l’investissement ou des fonds abondés par l’UE – suivent à hauteur. Face à ce handicap, l’Etat a beau jeu de se satisfaire d’une stabilité des concours financiers aux collectivités depuis près de quatre ans. Avec le retour de l’inflation, les règles ont changé.
Le garrot de l’enveloppe normée
Pour, enfin, piloter les concours financiers de l’Etat qui avaient presque doublé en vingt ans, l’article 32 de la loi de finances pour 1996 a regroupé toutes les dotations de fonctionnement et d’investissement de l’Etat (à l’exception du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée et des amendes de police), ainsi qu’une compensation d’exonérations fiscales et la dotation de compensation de la taxe professionnelle au sein d’un « ensemble » baptisé enveloppe normée.
Ce package est aujourd’hui figé en valeur, alors qu’il évoluait à ses débuts en fonction d’un taux d’indexation indépendant du taux d’évolution de chacune de ses composantes, mais souvent en fonction de la situation budgétaire de l’Etat. Une fois cet ensemble figé, les évolutions des composantes de l’enveloppe votées chaque année en loi de finances, notamment au profit de dotations péréquatrices, ne s’apparentent donc qu’à un jeu de bonneteau fait sur le dos de compensations devenues des « variables d’ajustement ».
Paléolithique financier
Dans un environnement radicalement renouvelé par les urgences climatiques, le maelström pandémique, la démondialisation sur fond de conflits à plus ou moins haute intensité, cette relation figée entre l’Etat et les collectivités relève du paléolithique financier.
L’enveloppe normée devrait pour le moins retrouver une certaine dynamique, même conditionnée à des efforts. Tout en mettant de côté les vains débats autour de l’autonomie fiscale, l’Etat qui veut réduire ses déficits, s’offrirait en effet plus de chance d’y parvenir en demandant aux acteurs locaux d’agir en responsabilité sur leur gestion courante – sur un nouveau modèle de contractualisation par exemple ou, comme le souhaite Intercommunalités de France, avec un accord national de maîtrise de la dette locale – plutôt que resserrer son garrot insidieusement.
Compte tenu de la configuration du Parlement, l’exécutif ne peut en effet plus se contenter d’exiger, il doit convaincre, donner des gages d’écoute et de dialogue et apprendre à dire « s’il vous plaît ». Y compris Bercy.
Cet article fait partie du Dossier
Fiscalité locale : comment relancer la machine ?
Sommaire du dossier
- Terra Nova propose la mise en place d’une « contribution résidentielle »
- Taxe foncière : une augmentation des bases fiscales inégalitaire et à haut risque
- Fiscalité locale : la Cour des Comptes veut tout changer
- Les DG d’intercommunalités veulent repenser la fiscalité locale
- Fiscalité locale, le coup de grâce
- Suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales : les impensés de la réforme
- 850000 contribuables exonérés de taxe d’habitation vont devoir repayer en 2021
- Fin de la taxe d’habitation : tous ces petits détails qui fâchent
- « Il faut un principe constitutionnel d’autonomie fiscale des collectivités »
- Réforme fiscale : les premières propositions du gouvernement
- Le gouvernement dévoile sa réforme fiscale cette semaine
- La grande histoire de la fiscalité locale
- Le CFL vote pour un dégrèvement total mais temporaire de la taxe d’habitation
- L’agence S&P met en garde sur « l’impact clairement négatif » de la réforme fiscale sur les départements
- Réforme fiscale : les départements perdront leur taxe foncière
- Baisser la fiscalité locale, une réponse efficace pour relancer l’économie ?
- L’équation finale du CFL pour remplacer la taxe d’habitation
- Réforme fiscale : « on est au devant de réflexions lourdes de conséquences »
- Le remplacement de la taxe d’habitation divise le bloc local
- Les négociations sur la réforme fiscale s’annoncent tendues
- Ce que propose la mission Richard-Bur pour remplacer la taxe d’habitation
- Réforme de la fiscalité : le scénario du gouvernement se précise
- Le Cese appelle à « réformer en profondeur » la fiscalité locale
- Charles Guené : « l’impôt doit cesser d’être territorialisé »
- 13 milliards d’euros en moins et une réforme fiscale en plus
- La réforme de la taxe d’habitation se fera par dégrèvement : quel impact sur les communes ?
- La fin des impôts locaux, une éventualité plutôt qu’une fatalité !
- Fiscalité locale : un système à bout de souffle
- Quelle fiscalité locale pour demain ?
- Fiscalité locale : un chantier à reprendre d’urgence !
- Le poids des impôts directs locaux pour chaque niveau de collectivités
- La révision des valeurs locatives, mère de toutes les réformes
- La Cour des comptes pousse à la réforme fiscale
- Exonération de la taxe d’habitation : recadrons le débat !
- Guy Gilbert : « Le bassin de vie est l’échelle pertinente pour trancher les questions fiscales »
- Les impôts locaux coûtent cher à l’Etat… et aux collectivités !
- Les 19 propositions du CFL pour réformer la fiscalité locale
- Réforme fiscale : main basse sur les ressources des départements
- L’impôt local victime de la technique
Thèmes abordés