Il est impossible de savoir dans quelle commune, en France, les taux de pauvreté sont les plus faibles. L’explication est simple : quand le taux est inférieur à 5 %, l’Insee le remplace par… 5 %. Les classements des villes où le taux de pauvreté est le plus faible n’ont donc aucun sens : toutes les communes affichent 5 %, alors que le taux peut être de 1 %, 3 % ou 4 % sans qu’on le sache. L’Observatoire des inégalités ne publie les données que pour les communes de plus de 20 000 habitants. Et pour deux d’entre elles, Le Chesnay-Rocquencourt (Yvelines) et Gif-sur-Yvette (Essonne), selon l’Insee, le taux atteint 5 % : il peut donc être en réalité de 5 %, comme de 2 %.
L’Insee ne souhaite pas que l’on puisse faire «de palmarès des communes les moins pauvres » et son explication nous semble très peu convaincante : il y aurait un « risque d’attirer l’attention de personnes malveillantes ». Qui peut croire que les cambrioleurs se fondent sur ce type de palmarès et non sur leur connaissance des lieux pour choisir leurs cibles ? L’information a de quoi faire sourire dans les commissariats. Il faut que l’institut public donne la véritable raison de sa pratique. Sinon, pourquoi publie-t-il le seuil des 10 % les plus riches – diffusé à la commune et pour des petits quartiers –, au moins aussi intéressant ? Pour information, le ministère des Finances diffuse le nombre de ménages imposables à l’impôt sur la fortune immobilière. Tant qu’à faire, supprimons toutes ces données sur la France qui va bien car elles intéressent les cambrioleurs…
La pratique de l’Insee, incompréhensible, occulte en partie la situation de communes de petite taille ultrafavorisées qui n’accueillent quasiment pas de personnes pauvres. Dans certaines, comme Biviers (Isère) ou Saint-Nom-la-Bretèche (Yvelines), le seuil de revenus des 10 % les plus pauvres est de 20 000 euros annuels, l’équivalent du seuil des 40 % les plus pauvres pour la France entière. Des îlots de richesse où l’on vit très largement entre semblables aisés, à l’abri du silence des statistiques. Les cambrioleurs n’ont que faire des données de l’Insee.
En revanche, si la pratique persiste, c’est bien qu’elle n’a jamais été dénoncée et que les chercheurs, démographes et géographes s’intéressent bien peu à la question de la France des riches.
Autant la pauvreté suscite pléthore de littérature, autant la richesse – sauf pour épingler quelques quartiers – ne fait pas couler beaucoup d’encre (1). La France dispose d’un système de statistiques public de grande qualité, et la connaissance des revenus des territoires a progressé ces dernières années : il y a dix ans encore, l’Insee ne publiait même pas de taux de pauvreté communaux et il y a peu, il calculait le taux de pauvreté outre-mer avec un seuil inférieur, en utilisant le niveau de vie médian local ! Si les choses ont évolué, c’est parce que des experts ont souligné les manques de la statistique publique.
Beaucoup reste à faire. N’en déplaise à l’institut, les données sur les revenus, en particulier sur les plus hauts, demeurent lacunaires, ce qui limite la compréhension de notre société. C’est à nous, experts, praticiens et élus de faire pression pour que ces manques soient comblés.
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Notes
Note 01 Voir « Rapport sur les riches en France », Observatoire des inégalités, édition 2022. Retour au texte