Quel regard portez-vous sur les mesures gouvernementales en lien avec la scolarisation des enfants en situations de handicap ?
Pour comprendre la situation actuelle, il faut analyser la situation passée. La loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 a affirmé le droit pour chacun à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile, à un parcours scolaire continu et adapté. Cette loi a bousculé toute l’organisation antérieure. Aujourd’hui, environ 380 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés en milieu ordinaire. En 2004/2005, ils étaient trois fois moins nombreux.
Cette montée en charge s’est effectuée, dans un premier temps, sans mesure spécifique, elle n’avait pas été anticipée. Elle est intervenue à un moment où les institutions médico-sociales venaient de réformer leur fonctionnement depuis la loi de 2002, tandis que la formation des enseignants spécialisés venait, elle aussi, d’être révisée en 2004. Mais ceci sans prendre en compte la nouvelle donne. La période de latence a été importante et les premières conventions de coopération entre les établissements médico-sociaux et l’Education nationale datent seulement de 2009.
Encore plus extraordinaire : il a fallu attendre 2017 pour que la formation des enseignants spécialisés soit à nouveau réformée, avec la création du Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI). Du coté des enseignants en milieu ordinaire, très peu de choses se sont mises en place, la scolarisation des élèves handicapés s’est opérée dans un contexte inchangé.
Quelles en sont les conséquences ?
L’accessibilité est le terme phare de la loi de 2005. Mais l’environnement pédagogique n’ayant pas évolué, les solutions élaborées ont été en réalité des réponses d’urgence. Les personnels ont été pris de cours, se sont sentis impuissants et la seule réponse a été de mettre en place des compensations de façon accélérée avec les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). De fait, la seule ressource pour les familles et les enseignants a été de demander une aide, afin que les élèves puissent bénéficier d’un soutien.
On observe aussi à l’école une augmentation du nombre d’élèves déclarés en situation de handicap. Or, de nombreux problèmes d’apprentissage pourraient être évités et trouver une réponse dans le cadre d’un fonctionnement rénové en termes d’effectifs des classes, d’évaluations moins normatives, de modalités d’apprentissage diversifiées, etc. L’inclusion implique de profonds changements, c’est un processus long qui ne peut se résumer à la simple présence des élèves handicapés en classe ordinaire.
Certes aujourd’hui, la situation a évolué, mais la paralysie initiale laisse des traces. Il y a des mesures intéressantes comme les équipes mobiles d’appui à la scolarisation (EMAS), qui commencent à se mettre en place. Ces équipes ne sont pas focalisées sur la difficulté des élèves mais viennent en soutien aux enseignants et aux équipes scolaires. Cette approche environnementale va dans le bon sens en réorientant certaines aides du secteur médico-social vers le milieu ordinaire. Mais cela prend du temps car les cultures professionnelles sont bien installées.
Quelles mesures phares faudrait-il mettre en place pour une réelle inclusion ?
Il s’agirait de modifier la formation initiale des enseignants pour y intégrer l’évaluation inclusive, diversifier les formes d’apprentissage, permettre des fonctionnements modulaires, avec des groupes de besoins. L’accessibilité doit être la priorité mais actuellement, la compensation est toujours privilégiée.
Les enseignants ordinaires estiment encore, pour une grande partie d’entre eux, que la scolarisation des enfants en situation de handicap ne fait pas partie de leur métier : le réflexe installé est de se dire que des professeurs spécialisés doivent s’occuper des élèves en situation de handicap. Les enseignants subissent aussi des pressions contradictoires à travers l’évaluation quantitative de leur travail en fonction des résultats scolaires. Le système français se distingue par son extrême hiérarchisation de l’évaluation des compétences. Tout se passe comme si la compensation devait augmenter en fonction de l’avancée dans le cursus scolaire.
Les réponses doivent être systémiques : instaurer des coopérations entre les Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) et les EMAS. Aujourd’hui, les deux structures ne communiquent pas suffisamment entre elles et on se prive de la complémentarité des compétences professionnelles. Les procédures de correction sont en place mais insuffisamment implantées.
En réalité, c’est la norme qu’il faut interroger. Il faudrait accueillir des diversités d’apprentissage au sein de l’école. De cette manière, l’institution entrerait dans une dynamique inclusive où l’élève en situation de handicap serait un élève différent comme les autres, et non pas un élève différent parmi les autres.
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La difficile scolarisation des enfants en situation de handicap
Sommaire du dossier
- Ecole inclusive : quelles mesures pour la rentrée 2022 ?
- Pour les associations, l’école inclusive reste un voeu pieu
- « L’élève en situation de handicap doit être différent comme les autres »
- Ecole inclusive : la reconnaissance tant espérée des AESH
- Toujours en attente d’une école réellement inclusive