Le sujet n’est pas nouveau mais revient sur la table après qu’un élu a déposé une requête auprès du Conseil d’Etat pour demander l’annulation de passages d’une circulaire de 2008, incitant les maires à créer des regroupements de défunts de même confession. Sur un site d’extrême droite, Marcel Girardin parle d’une « exigence de création de carrés confessionnels, notamment musulmans, motivée uniquement par des intérêts religieux, à motivation discriminatoire et séparatiste, qui portent atteinte à la loi du 14 novembre 1881, égale pour tous par définition, et au principe de neutralité laïque des cimetières. »
Depuis les lois de 1881 « sur la liberté des funérailles » et de 1905 sur la séparation des églises, le principe de neutralité prime dans les cimetières. Ainsi, les signes religieux ne sont autorisés que sur les tombes, sauf en Alsace-Moselle (sous le régime du Concordat) où les cimetières confessionnels existent. En 2008, cependant, Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, nuance la loi « par souci d’intégration des familles issues de l’immigration, de favoriser l’inhumation de leurs proches sur le territoire français ». Dans sa circulaire, elle encourage ainsi les maires à « favoriser […] l’existence d’espaces regroupant les défunts de même confession, en prenant soin de respecter le principe de neutralité des parties communes du cimetière ainsi que le principe de liberté de croyance individuelle. »
Concessions musulmanes en hausse
Cette circulaire n’étant pas contraignante, le choix incombe au maire. « Beaucoup de petites communes ne font pas de regroupements confessionnels quand la ville-centre d’une agglomération ou d’une métropole en fait mais ne réserve ses emplacements qu’à ses ressortissants, souligne Patrick Lerognon secrétaire général de l’Union du pôle funéraire public (UPFP). Donc des gens qui ne trouvent pas de regroupements confessionnels dans leurs communes viennent toquer à la porte. » Le CGCT prévoit des règles précises quant aux personnes autorisées à être inhumées dans le cimetière communal. Et au-delà de l’aspect confessionnel, la problématique se situe aussi au niveau de l’espace : les mairies sont de plus en plus confrontées au manque de foncier.
Dans la métropole de Lille, les regroupements confessionnels existent depuis la fin des années 1990 et les demandes d’inhumation y sont croissantes. « Peu de villes de la métropole en possèdent et Lille ne peut malheureusement pas répondre favorablement à toutes les demandes, indique Julie Philippe, directrice de l’état civil et des cimetières à la ville de Lille. Nous sommes régulièrement en recherche de terrains et la Ville a mis en place une politique de reprise des concessions échues pour permettre la mise à disposition d’emplacements. » Comme partout en France, pendant la période de confinement, les cimetières de Lille ont vu les demandes doubler (de 200 par an à 200 en six mois), en raison de la fermeture des frontières et donc de l’impossibilité des rapatriements. « Nous avons repris les concessions disponibles un peu partout pour répondre à l’urgence, explique Farid Oukaïd, responsable funéraire à la ville de Lille. Et finalement, seuls 10% ont été exhumés pour être rapatriés. »
Problème épineux
A Besançon, les regroupements de musulmans existent depuis 1986, au cimetière de Saint-Claude, avec un premier carré de 260 emplacements, situé dans le diffus du cimetière. La zone a depuis été agrandie plusieurs fois, dont une extension fin 2021. « Nous avons remédié à la pénurie, précise Eric Boussard, chef de service état civil à la ville de Besançon. Aujourd’hui, nous avons 880 emplacements et 19 sont libres. Nous allons en exploiter 50 nouveaux en août et environ 150 à l’automne, donc nous serons tranquilles pour trois ans. » Comme ailleurs, le nombre de concessions musulmanes a explosé en 2020. « Jusqu’en 2010, nous vendions de 30 à 45 concessions par an. En 2020, nous en avons vendu 70 et en 2021, 69, poursuit Eric Boussard. De plus, le rapatriement est moins fréquent car les nouvelles générations restent. Difficile aussi de faire de la place car les tombes musulmanes n’accueillent qu’une seule personne et sont systématiquement renouvelées donc il n’y a pas de reprises administratives. »
Ecartelé entre le principe de laïcité et la demande croissante des concessions confessionnelles, le conseil d’Etat se trouve face à un problème épineux. « Quelle que soit sa décision, il prendra une lourde responsabilité qui fera date, estime Marie-Christine Monfort, cheffe de service des crématoriums de la métropole de Lille. S’il reconnaît la légalité des carrés confessionnels, il met un coup de canif dans le contrat de laïcité passé par la République en 1905. Sinon, les familles de confession musulmane et leur représentation ne manqueront pas de réagir. La solution existe à Strasbourg : un cimetière musulman est soumis aux prescriptions du CGCT et administrativement géré par la ville, mais c’est l’autorité religieuse qui accorde l’autorisation d’y être inhumé. »
Domaines juridiques