Dans sa campagne électorale récente, le Président de la République a annoncé un plan d‘économies de 20 milliards d’euros sur le quinquennat dont 10 milliards seraient à la charge des collectivités locales et 10 milliards à celle de l’Etat.
Observons tout d’abord que ce plan d’économies ne devrait pas être de même nature entre ces deux acteurs publics. Pour les collectivités, il s’agit bien de réduire le volume de leurs dépenses effectives au regard d’une trajectoire tendancielle. Pour l’Etat, il s’agit de réduire « la dépense fiscale ». Mais que sont les dépenses fiscales ? Il s’agit de ce qu’il est aussi convenu de qualifier de « niches fiscales ». Mais, supprimer des niches fiscales (et donc élargir les assiettes imposables), n’est-ce pas augmenter les impôts ? Evidemment ! Le programme est donc limpide, aux collectivités de faire des économies, à l’Etat d’augmenter les impôts.
Depuis 2017, dernière année de mise en œuvre de la contribution au redressement des finances publiques, un certain nombre de concours financiers attribués aux collectivités territoriales sont figés. Dans la mesure où les ressources budgétaires de l’Etat évoluent notamment en fonction de à l’inflation (hors mesures nouvelles), la désindexation, pour lui, d’une charge à financer constitue évidemment une économie dont il bénéficie ou une capacité de redéploiement de ses propres actions.
En n’indexant pas un panier de concours servi aux collectivités territoriales, l’Etat crée une « contribution inflation » de celles-ci à la réduction de son déficit public, contribution d’autant plus forte que le taux d’inflation est élevé.
Certes, certains concours peuvent diminuer (en valeur nominale) pour participer au au financement de la croissance d’autres dotations, mais cela n’est pas de nature à amplifier les conséquences de ce principe de non-indexation : les crédits quittent une dotation pour alimenter une autre à due concurrence, sans effet sur la dynamique d’ensemble de ces concours. Il s’agit là d’ajustements internes à la répartition entre les collectivités territoriales, et non d’un ajustement entre les collectivités territoriales et le budget de l’Etat.
Vu du côté des collectivités territoriales, cette non-indexation entraîne une perte de pouvoir d’achat de leurs ressources. Qui dit perte de pouvoir d’achat dit, nécessairement, une contrepartie : une réduction de la dépense locale (en volume) pour y faire face. Ainsi, par une « contribution inflation » des collectivités territoriales, l’Etat pèse sur la dépense locale et en engrange le bénéfice dans la réduction, toutes choses égales par ailleurs, de son déficit.
Que s’est-il passé entre 2017 et 2021 ? La non-indexation « sur les prix » de ce panier de concours financiers a coûté, en 2021 par rapport à 2017, 1 395 millions d’euros et représenté un impact global de 3,6 Mds € en 4 ans.
L’impact d’une non-indexation d’un panier de concours financiers va redevenir majeur dans les années à venir : la reprise de l’inflation est là…
Pour mesurer cet impact, il convient de définir une ou plusieurs trajectoires possibles pour le niveau de l’indice des prix entre 2022 et 2027.
L’INSEE vient de publier une estimation (15 juin 2022) de la hausse des prix sur les 12 derniers mois (+ 5,3 % hors tabac et +5,8% y compris tabac). Si les prix à la consommation n’augmentent plus d’ici à décembre 2022, alors le taux d’inflation atteindra 4,4 % pour 2022. Mais, depuis mai 2021, les prix augmentent en France d’environ 0,5 % chaque mois. Si cette tendance se poursuivait jusqu’à la fin de l’année, alors le taux d’inflation serait de 5,6 % à la fin de l’année 2022 et de 6,4 % si les prix augmentaient dans les prochains mois comme ces quatre derniers. Les publications les plus récentes (juin 2022) de l’OCDE et de l’OFCE tablent sur une inflation 2022 comprise entre 4,9 % et 5,2 %. On peut donc envisager plusieurs scénarios illustratifs pour 2022, avec un taux d’inflation annuel s’étageant de 5 à 7 %.
Pour 2023 et les années suivantes : les hypothèses sont plus ténues. La Banque de France (mars 2022) évalue le taux d’inflation 2023 entre 1,9 % et 3,3 %, puis de l’ordre de 1,6 % par an à compter de 2024. Le FMI (avril 2022) table sur une stabilisation du niveau de la croissance des prix aux alentours de 1,6 % à 1,7 % dès 2023. L’OCDE (juin 2022) fixe le niveau prévisible de croissance de l’indice des prix à 4,5 % en 2023. Enfin, si de mai 2022 à décembre 2023, les prix augmentaient de 0,5 % par mois (rythme actuel de croissance), le taux d’inflation serait en 2023 de 6,4 %. Pour que la hausse n’atteigne « que » 2,9 % il conviendrait que les prix n’augmentent dans la même période que de 0,2 % par mois.
Pour illustrer l’impact à venir des pertes de pouvoir d’achat de ce panel de concours, 4 scénarios sont donc étudiés. Le dernier d’entre eux (scénario 4) se distingue, à compter de 2024, des 3 autres par un niveau de croissance des prix demeurant soutenu (même si plus faible qu’en 2022 et 2023).
Quel serait alors l’impact de ces scénarios sur la perte de pouvoir d’achat du panier de concours ici étudié ?
En 2027, ces effets de désindexation représentent une « contribution inflation » annuelle des collectivités territoriales comprise entre 4,874 Mds € et 9,054 Mds € selon les scénarios par rapport à 2021. Par rapport à 2017, cette contribution est de 6,269 Mds € à 10,449 Mds €. Ces chiffres annuels s’approchent de l’objectif fixé par le Président de la République. Ils ne s’en éloignent légèrement que dans les premiers scénarios basés sur une inflation de nature conjoncturelle, retrouvant ses faibles niveaux passés dès 2024. Si les taux d’inflation demeuraient supérieurs à 3 % à compter de 2024, alors la contribution inflation des collectivités serait bien de l’ordre 10 milliards d’euros en 2027.
Au-delà de cette contribution inflation, faut-il infliger aux collectivités territoriales une double peine en « inventant » de nouvelles procédures contraignantes d’encadrement de la dépense locale ? A l’évidence non, car ces économies de dotations (pour l’Etat) vont bien alléger sa charge budgétaire d’un même montant et contraindre les collectivités qui subiront l’inflation sur leurs charges (sans disposer d’un effet de croissance de leurs recettes), à devoir arbitrer le volume de leurs propres dépenses à due concurrence.
Aller plus loin ou au-delà, c’est ignorer ou faire fi du nouveau contexte en matière d’évolution des prix.
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