C’est sous forme de bail à construction que le foncier de la ZAC 2 de Savoie Technolac, soit près de 40 hectares, a été commercialisé. « Aujourd’hui, sans parler de généralisation, le bail va poursuivre son développement sur le territoire des deux agglomérations : Grand Chambéry et Grand Lac, notamment pour la requalification des zones », estime Régis Dormoy, directeur de Chambéry - Grand Lac économie, syndicat mixte chargé du développement économique pour les deux intercos.
Avec le bail à construction, la collectivité propriétaire (bailleur) cède le foncier contre un loyer. Le preneur s’engage, en contrepartie, à édifier les constructions et à en assurer l’entretien sur toute la durée du bail (de dix-huit à quatre-vingt-dix-neuf ans). Le preneur a des droits réels sur la durée du bail, il peut, par exemple, hypothéquer son bien auprès d’une banque ou céder le bâti à une autre entreprise. A l’issue du contrat, le foncier et le bâti reviennent à la collectivité.
Et si la proximité des montagnes donne aux élus du sillon alpin une acuité particulière sur la valeur de leur foncier, ce sentiment est désormais plus largement partagé. Le bail, vieil outil créé en 1964 et bien connu dans des secteurs comme les ports et aéroports, monte en puissance dans les zones d’activités. « Concentré sur les bureaux et les commerces, le marché du foncier se déplace. A présent, les promoteurs ont un fort appétit pour le foncier industriel et logistique car le foncier va manquer d’ici trois ans », selon Nicolas Gillio, directeur d’études au Bein du Cerema.
Bâti en bon état
« Avec la démarche du zéro artificialisation nette, ajoute-t-il, le bail va se diffuser plus largement. » Pour Chambéry - Grand Lac économie, le choix du bail à construction a répondu à deux motivations : permettre à la collectivité de garder, tout au long de la vie du bâtiment, un contrôle sur l’activité et éviter de se retrouver avec des friches à l’issue de la durée du bail, le preneur ayant l’obligation de maintenir le bâti en bon état. « La qualité des usines et entrepôts est aussi un avantage pour les sociétés de la zone, les biens surveillés ne réduisent pas la valeur des entreprises voisines », estime son directeur.
La Suisse, qui maîtrise depuis de nombreuses années le bail à construction, impose aux collectivités proches de prendre un virage serré ; les élus ayant conscience de la nécessité de garder du terrain du côté français de la frontière. En 2018, avec un foncier raréfié, le Grand Annecy (34 communes, 203 800 hab.) annonce que tout le foncier économique, soit 44 zones d’activités industrielles et artisanales, est actuellement commercialisé par l’intermédiaire du bail à construction. Aujourd’hui, à part deux ou trois exceptions visant des projets de petit foncier pour des extensions, l’interco n’a pas bougé d’un iota.
« Nous regrettons de ne pas avoir fait ce choix plus tôt car nous n’avons plus beaucoup de foncier à engager. Le bail permet de maîtriser les mutations et de gérer la densité pour une occupation maximale de terrain. Il n’est pas possible de faire une réserve foncière », constate Ségolène Guichard, première vice-présidente chargée de la relocalisation de l’économie, des relations extérieures et des industries de l’agglomération.
Trois intercommunalités ont fait un choix similaire : la CC du Genevois, Annemasse agglo et la CC Arve et Salève. D’autres collectivités, comme Grenoble métropole, l’agglomération de La Rochelle ou la Martinique, s’intéressent au montage contractuel.
Exigences qualitatives
Sur la zone Rovaltain, en bordure de la gare TGV de Valence, le foncier réservé au tertiaire a fait l’objet d’un premier bail pour un bâti de 4 000 mètres carrés. « Le syndicat mixte, alors chargé de la zone, avait initié, en 2017, le bail à construction avec le promoteur Patriarche. Aujourd’hui, l’agglomération a repris la gestion du parc d’activités et les élus ont validé une seconde opération de deux fois 4 000 mètres carrés qui va sortir dans les mêmes conditions. »
Selon le directeur du développement économique de Valence Romans agglo (54 communes, 223 300 hab.), Mourad Hader, les promoteurs acceptent plus facilement que les entreprises l’utilisation du bail. « Le cahier des charges est axé sur les exigences environnementales, un énergéticien apporte ses conseils au promoteur pour la construction qui s’engage à un niveau de consommation d’énergies. »
Le paiement du bail étant phasé dans le temps, lors du dernier versement, si l’objectif n’est pas respecté, le loyer s’accompagne d’une majoration de 20 à 30 euros par mètre carré. « Jusqu’à présent, conclut Nicolas Gillio, les collectivités étaient sur un modèle d’aménagiste – j’aménage, je commercialise, je vends – mais cela est dépassé, il faut glisser vers le modèle patrimonial, la collectivité gardant la gestion du foncier pour valoriser son territoire. »
Une réponse à un projet politique
Jean-Jacques Duchêne, conseiller en développement économique et ancien directeur de la ZAC Technolac
[CA Grand Chambéry et Grand Lac (Savoie) 135 300 et 75 900 hab.] « Quand, au début des années 2000, nous avons décidé de lancer la ZAC Technolac, nous n’avons pas choisi le bail à construction pour des raisons foncières mais pour répondre à un projet politique, celui de créer une zone d’excellence en matière d’innovations », explique Jean-Jacques Duchêne, ancien directeur de cette ZAC, aujourd’hui, conseiller en développement économique sur les territoires des communautés d’agglo Grand Chambéry et Grand Lac (38 communes et 28 communes).
Comme il le rappelle dans le livre qu’il a publié (2) sur cette expérience, la loi « SRU » imposait alors d’intégrer le règlement de la ZAC dans le plan local d’urbanisme. « Il n’était pas possible de faire migrer l’exigence forte que nous avions prévue, l’agrément préalable obligatoire à toute installation d’entreprise. » Le contrat s’est révélé plus solide qu’une règle de droit public. La demande des promoteurs et des entreprises s’est développée car cette contrainte garantissait un environnement technologique durable aux entreprises.
Le bail a aussi un avantage financier, le loyer peut être déduit des impôts alors que le prix du foncier n’est pas amortissable. « Notre choix s’est porté sur un loyer payé à la signature du bail d’une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. » Une seule fois, un chef d’entreprise s’est montré réticent. « Nous avons alors signé un bail “à l’envers“, le preneur se devait de respecter nos exigences et devenait propriétaire à l’issue du contrat », conclut Jean-Jacques Duchêne.
Contact : Grand Chambéry, 04.79.96.86.00., Grand Lac, 04.79.35.00.51.
Références
- « Savoie Technolac. Des racines et des fruits », éd. Palme, Paris, 2019.
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