La Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) va bien commencer à disparaître dès 2023. « Les baisses d’impôts de production pour les entreprises s’engageront dès 2023, comme le président de la République s’y est engagé » a déclaré le ministre de L’Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire dans une interview au Figaro, mercredi 1er juin.
Même si ce n’est pas une surprise, cette annonce prend de court les collectivités, qui ont de suite réagi par la voix commune de France Urbaine et d’Intercommunalités de France : « Nous regrettons fortement que Bruno Le Maire ait confirmé la suppression totale de la CVAE (qui fait partie des impôts de production, ndlr) dès 2023, sans aucune concertation avec les collectivités concernées ».
Cet impôt local a généré 9,7 milliards de produit fiscal l’an dernier pour les collectivités, soit 11 % de leurs recettes fiscales. Sa compensation prochaine porterait donc un « nouveau coup de rabot aux finances locales » assurent les associations, mais surtout « interroge sur la contribution des entreprises au développement actuel et futur des territoires » préviennent-elles.
Pour les élus locaux, les entreprises demandent d’abord que « les collectivités investissent pour leur permettre d’attirer une ressource humaine qualifiée, d’accéder à une ressource en eau de qualité et en quantité, à une électricité décarbonée, à des services de transports et de gestion des déchets efficaces… » En cassant le lien de la fiscalité économique locale entre l’entreprise et son territoire, ils craignent de ne plus pouvoir – et même vouloir – proposer toutes les aménités nécessaires aux acteurs économiques pour leur développement, même si certains, comme Boris Ravignon, maire LR de Charleville-Mézières, ne « pleureront pas la CVAE » à cause de sa volatilité.
En attendant un grand soir de la fiscalité économique locale, chaque territoire doit penser maintenant à optimiser son produit pour obtenir la meilleure compensation possible. Au préalable, il faut bien comprendre le mécanisme de cet impôt né en 2010 et réputé comme volatile et imprévisible.
Un mécanisme complexe
Ce qui est devenu une composante de l’ex-taxe professionnelle avec la CFE (8,2 milliards d’euros) est d’abord entièrement perçue par l’Etat. Celui-ci, qui en dégrève environ un quart, territorialise le produit à 47 % pour le bloc communal et 53 % pour les départements et le répartit selon le nombre d’établissements des entreprises concernées, mais aussi une clé de répartition complexe : les deux tiers selon les Equivalents temps plein (ETP) déclarés et un tiers selon les bâtiments sur les bases foncières de la CFE. Mais les usines sont surpondérées pour éviter une trop grande iniquité entre les entreprises concernées comme c’était le cas avec la taxe professionnelle.
Toutes les entreprises ne paient pas cet impôt. Seules celles déclarant plus de 152 500 euros y sont assujetties. De plus, les sociétés avec moins de 500 000 euros de CA sont dégrevées intégralement par l’Etat. Passé ce cap, elles deviennent redevables, mais via une cotisation intégrant un dégrèvement dégressif en fonction du chiffre d’affaires jusqu’à 50 millions d’euros, seuil au-delà duquel, elles payent une cotisation pleine avec un taux d’imposition théorique ramené depuis 2021 et le plan de Relance de 1,5 à 0.75 %
Omissions, optimisations et fraudes
La situation des entreprises à l’année N est donc déterminante dans le calcul du produit fiscal. Or ces entités ne déclarent pas toujours fidèlement la réalité de leur situation fiscale. Pour Eric Tripodi, responsable du développement stratégique du cabinet de consulting Ecofinances, c’est dans « la complexité de la déclaration ou dans la ventilation de la cotisation en fonction des ETP présents sur le territoire qu’il existe des marges de manœuvre pour optimiser le produit fiscal des collectivités avant compensation de l’Etat », à partir de 2023.
La base d’imposition étant sur la valeur ajoutée déclarée de l’entreprise, le consultant encourage les collectivités à les optimiser dès à présent en vérifiant avec les services fiscaux de l’Etat les omissions des petites entreprises qui seront alors prises en charge par l’Etat et des grands groupes multi-établissements qui se trompent parfois sur le nombre d’ETP sur un territoire donné : « il faut reprendre les fichiers CVAE et repérer les multi-établissements sans effectifs déclarés sur le territoire » détaille par exemple Eric Tripodi.
Parfois, les collectivités peuvent tomber sur des pratiques douteuses comme ce fut le cas dans le Territoire de Belfort. Selon une enquête du site d’investigation Disclose, la délocalisation des bénéfices générée par le site d’Alstom vers une filiale suisse, organisée depuis 2015 par Général Electric devenu propriétaire de l’usine terrifortaine, aurait entrainé « une perte cumulée de recettes » de 10 M€ de CVAE selon l’estimation des élus du Grand Belfort en février dernier.
L’avantage de jouer sur son terrain
Tous les cas ne sont pas aussi caricaturaux. Pour repérer les anomalies, il faut se baser sur des faits, issus de la connaissance du tissu économique, en vérifiant sur le site internet de l’entreprise, regarder si l’entreprise paie un versement mobilité, etc. », prévient Eric Tripoldi. Ce travail de fourmi doit être bien sûr rationalisé : « il faut se limiter à des signalements pouvant apporter un surplus d’au moins 100 000 euros de valeur ajoutée sur le territoire » admet-il. Cette optimisation n’apporte pas seulement un surcroît de recettes pour la collectivité, il permet surtout de maximiser des bases et des produits qui serviront de référence par la suite à la compensation de l’Etat au moment de sa disparition. Pour le moment, c’est tout ce qui peut être sauvé.
Cet article fait partie du Dossier
Impôts de production : la baisse de trop
1 / 18
article suivantSommaire du dossier
- La CVAE disparaitra bien à partir de 2023
- Emmanuel Macron sonne l’hallali de la CVAE
- France Relance : un prélude à l’extinction progressive des impôts de production
- Les régions savent toujours séduire les investisseurs étrangers
- La baisse des impôts de production à la loupe
- Baisse des impôts de production : l’industrie pas forcément gagnante
- Impôts de production : la baisse de trop
- Plan de relance : le gouvernement s’attaque aussi à la CFE et à la taxe foncière
- Les limites de la baisse des impôts de production
- Face à la baisse des impôts de production, faible opposition des associations d’élus
- Le retour vers le futur de la gestion financière des collectivités
- Impôts de production : menace sur la cagnotte des collectivités
- Fiscalité locale : (im)puissance 4
- «Est-il sain de faire perdre le lien entre le contribuable et le territoire ?»
- Les impôts de production pour les collectivités, de quoi parle-t-on ?
- Baisse des impôts de production : face à face entre deux économistes
- La fiscalité économique locale elle aussi sous pression
- Impôts de production en France : vraiment sept fois plus importants qu’en Allemagne ?