L’intérim en protection de l’enfance est une tendance lourde. Alors que le recours ponctuel à des intérimaires est fréquent pour des remplacements de personnels, deux départements sont passés à une étape supérieure : le Calvados et la Mayenne ont délégué la gestion complète d’une maison d’enfants à caractère social (Mecs) à une entreprise d’intérim, Domino Assist’M ASE.
Prise en charge de « cas complexes » en Mayenne
La Mecs ouverte en juin 2021 en Mayenne concerne « 12 enfants de 6 à 12 ans », « des cas complexes qui mettaient en difficulté les assistants familiaux », explique Olivier Richefou, président (UDI) du conseil départemental. « Nous ne pouvions pas organiser un marché public dans un temps si court, et l’intérim a répondu à notre besoin. C’est une solution qui n’a pas vocation à être pérenne, mais qui fonctionne bien pour répondre à l’urgence», estime-t-il.
Néanmoins, en novembre dernier, un conseiller départemental de l’opposition, Antoine Leroyer, alerté par des salariés de cette Mecs, a pointé en séance publique des « négligences concrètes » portant sur « le bâtiment, l’encadrement et les conditions d’accompagnement ». A posteriori, Olivier Richefou assure que le département « a vérifié les conditions d’accueil », « en maison individuelle et en appartement » : « C’est similaire à ce que font d’autres associations, ce ne sont pas des prises en charge au rabais », défend-il.
En attendant le vote, fin juin, d’un nouveau schéma départemental de protection de l’enfance et le lancement d’appel d’offre pour de nouveaux dispositifs dédiés aux « cas complexes », la Mecs intérimaire de Mayenne aura quand-même duré deux ans.
Mecs intérimaire de 40 places dans le Calvados
Dans le Calvados, c’est « l’explosion des informations préoccupantes » suite au confinement de 2020 qui a conduit le département à recourir à la même entreprise pour l’ouverture d’une Mecs en mars 2021 : «Nous avions sollicité nos opérateurs habituels, mais ils n’avaient pas les ressources pour accueillir 40 nouveaux enfants, dont des fratries », explique Marie-Christine Quertier, présidente (SE membre du groupe majoritaire UDI) de la commission Enfance, Insertion et Lutte contre la pauvreté. Ce département, qui « historiquement a un taux d’enfants confiés plus important que la moyenne », souligne l’élue, connaissait depuis plusieurs années un manque structurel de places d’accueil, déjà dénoncé par les syndicats locaux.
La Mecs intérimaire a accueilli ces enfants « dans un gîte puis dans un bâtiment loué aux PEEP 50 » : « Nous avons vérifié les qualifications des intervenants, l’équipe éducative est stable et composée de professionnels locaux, et une inspectrice du département doit effectuer des contrôles réguliers », justifie l’élue. Elle assure que 17 nouvelles places pérennes ont été créées depuis, et qu’un appel à projet a été lancé pour prendre le relais de cette Mecs intérimaire.
Prix de journée
Compte tenu de l’urgence, de la complexité des situations confiées, et de la prime de précarité versée aux intérimaire, le prix de journée accordé à l’entreprise prestataire était dans ces deux départements « plus élevé » que celui versé aux associations. Même si, selon l’élue du Calvados, « cette différence n’était pas énorme ».
Pour Olivier Richefou, l’intérim correspond au besoin des collectivités : « C’est une solution souple et rapide face aux difficultés de recrutement dans le secteur. Et cela correspond aussi à une aspiration des jeunes éducateurs, qui face à la pénibilité du métier préfèrent le rythme de l’intérim et une meilleure rémunération », constate-t-il sans le déplorer.
Fossoyeur du secteur ?
Le Gepso, conscient des « énormes difficultés » à recruter, s’inquiète pourtant du « cercle vicieux » induit par l’intérim. « Quand un intérimaire est payé le double d’un éducateur permanent, alors qu’il ne connaît pas le projet de service et dérègle la dynamique de l’équipe, cela créé une rupture d’égalité salariale et plombe encore davantage l’attractivité du secteur », estime Philippe Véga, responsable de service dans un foyer de l’enfance de Loire-Atlantique, et membre du Gepso.
« C’est exactement ce qui s’est passé à l’Hôpital, poursuit-il, les soignants ont déserté, épuisés par de mauvaises conditions de travail, et sont revenus en intérimaires, payés double salaire. Désormais on voit de jeunes éducateurs s’orienter directement vers l’intérim. »
Dérive libérale au détriment de la qualité ?
Est-ce un début de privatisation du secteur de la protection de l’enfance ? Va-t-on voir se développer des opérateurs privés comme il en existe dans le secteur des personnes âgées ?
Philippe Véga se dit « choqué » par cette évolution : « Une entreprise d’intérim n’a pas la culture du social, ni de la protection de l’enfance. Quand on n’a pas affaire à une institution, comment avoir des garanties de stabilité de l’équipe, de continuité de service, de qualité d’accueil, de qualification des personnels ? »
Si pour Olivier Richefou, « les grosses associations gestionnaires fonctionnent déjà comme des entreprises », le recours à des acteurs privés lucratifs n’est pas anodin pour la Cnape : « Cela introduit une logique de rentabilité, qui peut être recherchée au détriment de la qualité et peut conduire à sacrifier le bien-être des personnes accueillies, comme l’a montré l’affaire Orpea. Et si les salaires y sont plus élevés, c’est que l’encadrement est moindre. »
Les acteurs du secteur veilleront à ce que ce type de réponse demeure exceptionnelle.
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