Les activités numériques ont un impact environnemental que les démarches de développement durable des bibliothèques ne prennent pas toujours en compte. Cela ne va pas durer, du moins pour les communes de plus 50000 habitants, puisque la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France (loi REEN) les oblige à produire, à partir de 2025, une stratégie numérique responsable. C’est ce qu’a rappelé Lionel Pujol, responsable de l’innovation et de l’accompagnement des projets à la direction de la lecture publique de Valence-Romans agglomération, lors des Journées nationales des bibliothèques numériques de référence (BNR) qui se sont tenues à Arras les 12 et 13 mai.
Les bibliothèques de ces communes seront donc concernées. Celle de Lyon, dirigée par les Verts, s’est emparée du sujet. Les services municipaux, dont la BNR, ont ainsi eu connaissance du bilan carbone de leurs activités numériques.
Le numérique, c’est aussi des choses matérielles
Comme elle l’a rappelé Mélanie Le Torrec, responsable du développement numérique de la bibliothèque de Lyon, le numérique ne fait pas référence qu’à des activités « intangibles » : il met bien en oeuvre des réalités matérielles en mobilisant des appareils, le réseau de télécommunications, des serveur dans des data-centres, de l’électricité etc.
La production des appareils, a-t-elle souligné, consomme elle-même 50% de l’électricité impliquée dans les activités numériques et des ressources naturelles parfois non renouvelables comme certains métaux rares, et elle génère des gaz à effet de serre. Leur recyclabilité doit aussi être interrogée. Problème : le « mille-feuilles d’inventaires », pas toujours à jour, rend difficile l’accès aux données nécessaires.
Mutualisation, reconditionnement, amortissements…
Côté matériel, en tout cas, la bibliothèque de Lyon a par exemple décidé de diminuer le nombre de photocopieurs, ce qui a nécessité un accompagnement des équipes. Un inventaire du parc de tablettes mené dans le cadre de la démarche BNR et un questionnaire auprès des bibliothécaires qui les utilisent va conduire à une modification des usages avec, potentiellement, une réduction du nombre de tablettes ou des mutualisations, et de meilleurs protections…
D’autres idées ont germé comme l’allongement des conventions d’amortissement du matériel. Ou l’achat d’appareils reconditionnés, ce qui ne va pas forcément de soi : certains DSI y pensent voire passent à l’acte mais d’autres ne l’envisagent pas, pour des raisons diverses. Pour Mélanie le Torrec, « peut-être qu’il faudra faire durer le matériel plus longtemps parce qu’on naura pas le choix ». Dans certaines collectivités, d’ailleurs, les services informatiques se sont mis à réparer les appareils eux-mêmes…
« On donne trop d’informations à nos usagers »
La question des services numériques utilisés par les bibliothèques et ceux fournis au public doit aussi être examinée. La responsable lyonnaise a déploré une forme d’« obésité informationnelle. On donne trop d’informations à nos usagers », selon elle, et il faudrait leur demander lesquelles leur sont utiles.
Pour Thomas Courtial, directeur du développement numérique de l’établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre, les services peuvent et doivent s’interroger sur ce qu’ils diffusent et exposent, et sur ce qui est consulté.
Au-delà du bilan carbone des services proposés pour un numérique « durable », qui peut être réduit, il a posé les enjeux du numérique « responsable », à la fois en termes économiques, éthiques et de consentement concernant les données personnelles et collectives (logiciels libres, choix d’un navigateur, des outils de publication, etc.).
Injonctions contradictoires sur le numérique
« Nous sommes dans un monde d’injonctions contradictoires », a-t-il remarqué, entre les promesses de simplicité et de confort des Gafam et l’usage qu’ils font des données personnelles des usagers. « A partir de quel moment on choisit de baisser notre niveau de confort ou de simplicité, s’est-il interrogé. Il va falloir se poser la question de ce qu’on doit freiner, de ce qu’on doit privilégier, des critères qui alimentent ce choix » et dans lesquels le critère environnemental peut ne pas être dominant. Un numérique responsable n’est peut-être pas forcément durable…
Autant de pistes qui peuvent alimenter la réflexion des bibliothécaires mais aussi celles des usagers lors d’ateliers ou de conférences. Car les habitudes des uns comme des autres, par choix ou par contrainte, sont en cours de transformation.
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