Les centres commerciaux ont été, ces dernières années, accusés de tous les maux, de l’étalement urbain au déclin des centres-villes. Quelle est votre analyse ?
Il est vrai que le commerce a été une classe d’actifs qui a artificialisé les sols, mais ce n’est, de loin, pas celui qui l’a fait le plus, même si c’est lui qui est le plus visible et qui a été stigmatisé sur ce sujet.
On a aussi accusé les périphéries commerciales de vider les centres-villes. Je pense que là aussi, c’est un combat d’arrière-garde. Les centres-villes souffrent pour de multiples raisons, pas uniquement concurrentielles : le départ des services publics, une offre d’habitat plus forcément adaptée aux attentes des jeunes ménages, parfois des piétonnisations qui les ont rendus plus difficiles d’accès. De plus, les centres commerciaux abritent des enseignes qui sont très différentes de celles des centres-villes. Aujourd’hui, on a totalement changé de paradigme et la véritable question n’est plus le centre-ville contre la périphérie, mais commerce physique versus commerce online, et celle du modèle de société que l’on veut choisir.
Les centres commerciaux connaissaient, avant même le Covid, des baisses de fréquentation et de chiffres d’affaires. Le modèle est-il à bout de souffle ?
Les actifs du groupe Frey n’ont jamais connu une telle attractivité ! Ça marche peut-être mieux chez nous qu’ailleurs car nous ne développons pas des centres commerciaux mais des centres d’intérêt collectif. Ce sont des lieux très faciles d’accès, dans lesquels on peut se garer très facilement. Autour des espaces publics qu’on crée dans ces lieux, on agrège du commerce, mais aussi des producteurs, des associations, des écoles, des maisons de santé, comme à Strasbourg. On crée des lieux de centres d’intérêt multiples. Dans votre poche, vous avez déjà le plus grand centre commercial du monde, alors si l’on n’offre que du commerce, ça ne marche plus.
La loi « climat et résilience » interdit l’artificialisation de nouvelles terres pour des créations de centres commerciaux supérieurs à 10 000 mètres carrés et fixe des conditions très strictes. Comment développer des projets, et en a-t-on vraiment besoin ?
On n’a pas besoin de nouveaux mètres carrés commerciaux. On a surtout besoin de transformer des lieux de commerce qui ne sont plus adaptés à ce qu’attendent les consommateurs. La stratégie de notre groupe est de s’atteler à ces grandes zones commerciales qui ont défiguré les entrées des villes françaises, il faut le reconnaître, mais qui sont aujourd’hui une opportunité fabuleuse car ce sont les stocks de terres artificialisées sur lesquels on va fabriquer la ville de demain.
Dans toutes les villes en zone tendue, qui ont besoin de trouver du foncier, le développement va pouvoir se faire sur ces anciennes zones. L’eurométropole de Strasbourg nous a, par exemple, confié les prérogatives d’aménageur – droit d’expropriation, de préemption – pour restructurer les 150 hectares de la zone commerciale au nord de la ville afin de transformer le commerce, le rendre attractif, et apporter de la mixité, des modes de circulation doux, du logement… Bref, transformer ces zones de Far West commercial en morceaux de ville. C’est ça l’avenir.
On vous reproche souvent, dans ces projets, de faire des extensions de surfaces…
Pour trouver un modèle économique, il y a toujours une extension, mais elle n’est pas forcément commerciale. A surface commerciale équivalente, on va densifier le projet avec autre chose : du logement, de la logistique commerciale… Le nerf de la guerre est de préserver, pour les commerçants, des loyers durables. C’est comme ça que l’on équilibre le modèle.
Comment travaillez-vous avec les élus locaux ?
L’interlocuteur premier, c’est le maire, même si, derrière, il y a un travail au niveau intercommunal car ces projets commerciaux sont des projets de territoire. Les élus ne tombent plus dans la logique de concurrence, ils sont majoritairement conscients que c’est en conjuguant, avec les communes voisines, une stratégie commune, alignée, que tout le monde en profite.
Nous allons les voir avec un diagnostic que nous confrontons avec leur vision du territoire et nous vérifions que nous partageons une vision commune. Nous ne sommes pas là pour développer des mètres carrés mais pour apporter une solution de réparation du territoire sur leur entrée de ville. La confiance est indispensable, on a besoin des élus afin de pouvoir avancer et eux ont besoin de nous pour – modestement – leur apporter de la connaissance et être capable de mobiliser les financements nécessaires pour ces opérations, qui sont coûteuses. La Shopping promenade de Strasbourg, par exemple, c’est 80 millions d’euros !
On annonce un second volet du plan Action cœur de ville centré sur les entrées de ville. Allez-vous y participer ?
Repenser les périphéries, cela fait quinze ans que nous ne faisons que ça. Nous travaillons sur deux opérations de ce type, à Montigny-les-Cormeilles et à Marne-la-Vallée, avec l’Epamarne. S’atteler à la revitalisation des centres-villes était important, mais il y a aussi un plan d’urgence à mener dans la périphérie, c’est un enjeu urbain majeur à l’heure du ZAN.
Cet article est en relation avec le dossier
Thèmes abordés