Contrairement à des préjugés tenaces, les agents publics ne sont pas à l’abri du stress, surtout dans les grandes collectivités territoriales. Des signes avant-coureurs le trahisse : fatigue, irritabilité, perte de concentration, etc. Ces symptômes sont liés aussi bien à des dysfonctionnements de l’organisation du travail au sein d’une équipe qu’à des facteurs physiques, émotionnels, intellectuels et comportementaux. Prises isolement, ces différentes manifestations ne sont évidemment pas spécifiques d’un état de stress, mais c’est leur association ou leur aggravation dans le temps qui ont un sens.
Jérôme Tougne, consultant au cabinet de conseil StimulusLa prévention fait aujourd’hui partie intégrante du rôle des managers. Comme ceux-ci ne sont ni psychiatre ni spécialiste, plus ils afficheront un mode de communication ouvert, plus ils seront à même de reconnaître les premiers signes de stress.
L’absentéisme : un indice révélateur
Premier indice facile à vérifier : l’absentéisme . Indicateur plus ou moins pertinent, ce taux est souvent révélateur de dysfonctionnements. Selon l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail, pas moins d’une journée d’absence sur deux est liée à des problèmes de stress. Un pourcentage en augmentation ou largement supérieur à la moyenne nationale est donc, la plupart du temps, le signe d’un malaise. Pour autant, « lorsque l’on observe un fort taux d’absentéisme , on a souvent déjà dépassé le cap du stress », rappelle Patrice Girot, DGS de la communauté d’agglomération de la vallée de Montmorency (Val-d’Oise). Voilà pourquoi les managers doivent tenir compte d’autres « indicateurs ».
La fatigue : à surveiller de plus près
Le stress se traduit aussi par des manifestations physiques, comme les troubles du sommeil, les insomnies ou des maux de tête récurrents, une gêne digestive… Ces petits « bobos », qui paraissent bénins, sont la plupart du temps ignorés par les managers, ces derniers les mettant, à tort, sur le compte de la seule charge de travail. Il faut donc être attentif aux moindres détails, notamment aux variations de comportement des subordonnés. « Plus vous prenez le temps de rencontrer vos collaborateurs en dehors du cadre strict des réunions de travail, mieux vous les connaissez et plus vite vous décelez des changements d’attitude », constate Patrick Ayache, DGS de Besançon. En effet, c’est la comparaison entre l’état habituel d’un salarié et sa nouvelle et singulière attitude qui alerte le plus souvent le chef d’équipe.
La colère et le silence : un trop-plein d’émotions
Viennent ensuite les manifestations émotionnelles. La plus courante est l’accès de colère. Si un collaborateur accepte tout à coup très mal la moindre critique sur son travail ; s’il se plaint davantage qu’avant et affiche un discours négatif sur ses missions, ses collègues… ne cherchez plus, il est sous pression. A vous de découvrir pourquoi. L’agressivité est aussi un indice très fort et plutôt voyant du stress. Lorsqu’un collaborateur est irritable, les conflits surviennent inévitablement avec les autres membres du groupe. L’ambiance se détériore, les « coups de gueule » sont plus courants.
A l’opposé de la colère, il y a le silence. « L’un de nos cadres, qui intervenait de manière régulière en réunion, s’est progressivement tu. J’ai laissé passer un peu de temps pour voir si cette attitude était passagère, puis j’ai décidé de recevoir cette personne en toute confidentialité pour lever le doute », se souvient Michel Namura, président Ile-de-France du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT). Le cynisme est également un indice, qui se signe par des petites phrases telles que « il faut voir ça avec le service technique », « c’est la communication qui doit valider ce projet », etc. Le fait de désigner systématiquement les personnes avec qui l’on collabore par leur fonction ou leur service est la manifestation d’une distance que le cadre prend progressivement avec les autres.
Le fatalisme et la panique : des signaux d’alerte
« Dans pareil cas, le cadre donne moins son avis, il évite de s’exprimer même sur des sujets qui intéressent sa fonction. Il se manifeste par des expressions significatives comme “de toute façon ça ne changera rien” », précise Jérôme Tougne. En résumé, il « referme le couvercle de la cocotte-minute ». Une attitude face à laquelle Patrice Girot prend quelques précautions : « J’essaie d’en savoir plus, mais je ne le fais pas directement, je passe par quelqu’un de plus proche de lui, un collègue par exemple, afin d’adopter la meilleure stratégie d’approche. »
Patrick Ayache évoque la réaction de panique : « Lorsque l’on est dérangé en pleine réunion pour un problème bénin présenté comme une catastrophe, c’est un signe du manque soudain de discernement de votre collaborateur, que l’on peut analyser comme un “sur-stress” inhabituel. »
Certains comportements d’alerte sont à mi-chemin entre l’émotion et l’intellect : un collaborateur hanté par l’erreur cherche soudainement à obtenir des retours positifs à tout moment sur son travail. Conséquences ? Il fait relire ses dossiers, ses conclusions par son manager ou ses collègues, demande sans cesse des avis par oral, etc. Le comportement addictif peut aussi être un indice : le cadre absorbe plus de dix cafés par jour, il travaille trop, ne quitte plus son bureau, reste le soir et le week-end… Ce comportement signe son incapacité à se détendre et à prendre de la distance avec sa fonction.
Les dérapages : des troubles manifestes
Viennent ensuite les dérapages professionnels, plus faciles à repérer : oublis de rendez-vous, négligences, non-respect des délais… Ces déficiences relèvent d’un état de stress si elles se produisent de plus en plus régulièrement et si elles sont associées à l’un des symptômes cités précédemment.
Enfin, le stress peut générer une baisse de performance, facilement identifiable pour le manager : un travail inconséquent, des objectifs non remplis, des retards qui s’accumulent dans le traitement de certains dossiers, etc. « Ils sont généralement une conséquence logique de tous les signes que nous venons d’évoquer », conclut Jérôme Tougne.
Muscles, tendons… attention !
Douleurs chroniques des articulations, de la nuque, du dos, etc., ces « petits » maux sont à surveiller. Ils font, en effet, partie des troubles musculosquelettiques (TMS). Des pathologies fréquemment liées à des postures de travail, dont l’un des facteurs en cause reconnu aujourd’hui est le stress. Pour preuve, les TMS constituent désormais les pathologies professionnelles de loin les plus répandues dans les pays industrialisés. En France, ils représentent même plus de 70 % des maladies profession¬nelles.
S’interroger sur ses pratiques managériales
« Certains cadres ou agents sont d’un naturel stressé et ont besoin de cet état pour avancer. Chez ceux qui sont plus introvertis, le stress, difficile à repérer, peut être lié à des soucis professionnels ou bien à des problèmes extérieurs. Il incombe donc au manager de réussir à dépister le malaise et à différencier le stress ponctuel, lié à une surcharge de travail passagère, d’un stress permanent. Dans ce dernier cas, il faut aussi pouvoir s’interroger sur ses propres pratiques. Car un état de tension permanent dans un service désigne souvent une mauvaise organisation managériale. »
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L'absentéisme des agents publics : un symptôme, des remèdes
Sommaire du dossier
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- Combattre l’absentéisme et ses conséquences
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