La progression de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle est-elle le signe d’une fracture territoriale ?
La géographie du vote pour le Rassemblement national est, avant tout, le reflet d’une stratification sociale. En Bretagne, fief macroniste s’il en est, Marine Le Pen progresse à mesure que l’on s’éloigne des côtes et des zones les plus riches. C’est ce critère des revenus des électeurs qui est décisif et explique qu’Emmanuel Macron réalise de bons scores dans des départements ruraux qui se portent bien, comme le Lot, où il a effectué son dernier déplacement avant le deuxième tour.
Il existe cependant certaines passerelles entre Marine Le Pen et les CSP+, via Eric Zemmour, qui a servi de sas électoral vers le RN. On le voit, par exemple, dans une partie de l’Ile-de-France ou en Vendée. Quoi qu’il en soit, le RN du nord, ouvrier et populaire, supplante en nombre de voix le RN du sud, davantage composé d’artisans-commerçants et beaucoup plus centré sur l’immigration que sur les questions sociales.
Comment expliquez-vous que les électeurs corses optent massivement pour Marine Le Pen au scrutin présidentiel – à hauteur de 58 % au second tour – et pour les autonomistes aux rendez-vous locaux, alors que ces deux camps ont une conception antagoniste de l’organisation territoriale ?
Ce phénomène n’est pas nouveau. Il existait déjà en 2017 à un degré légèrement moindre (48,5 % pour Marine Le Pen). Il y a clairement une hiérarchie entre les votes nationaux et locaux. Les électeurs corses sont plus lepénistes qu’indépendantistes. Ils votent pour les nationalistes aux élections locales, car ils considèrent que la France est en proie à un grand remplacement et qu’il faut se replier sur le pré carré culturel insulaire.
Dans les deux cas, c’est un vote identitaire. Il faut se souvenir que le mouvement nationaliste est né en 1975, avec la prise d’otages de viticulteurs pieds-noirs d’Aléria qu’il fallait bouter hors de l’île… L’essentiel se trouve là. La meilleure preuve, c’est que le virage autonomiste d’Emmanuel Macron, au lendemain de la mort d’Yvan Colonna, n’a pas eu plus d’impact dans les urnes qu’un discours dans la même veine à Furiani lors de sa campagne de 2017.
Le vote massif de l’outre-mer en faveur de Marine Le Pen (69,6 % à la Guadeloupe, par exemple, après un petit 17,9 % au premier tour, contre 56,2 % en faveur de Jean-Luc Mélenchon) n’est-il pas beaucoup plus surprenant ?
Il y a, dans la plupart de ces territoires, une inversion des scores avec Emmanuel Macron par rapport à 2017. Un raz-de-marée qui s’appuie, le plus souvent, sur une participation plus forte qu’au premier tour. En Guadeloupe, en Guyane et en Martinique, la fronde « antivax » contre la politique sanitaire d’Emmanuel Macron a joué à plein. C’est un vote antimétropole qui est aussi un appel à l’Etat des « territoires abandonnés de la République », qui réclament plus de politiques sociales.
Emmanuel Macron et son ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, ont voulu mettre les élus devant leurs responsabilités en leur proposant l’autonomie. Les électeurs, c’est le moins que l’on puisse dire, ne leur ont pas donné de blanc-seing en ce sens, comme on l’avait déjà constaté lors de référendums sur la question en Martinique et en Guyane. Ils n’ont pas toujours confiance dans leurs élus. Ils savent aussi que leurs territoires sont trop fragiles pour couper le fil avec la métropole.
La différenciation territoriale, prônée par Emmanuel Macron, ne peut-elle pas permettre d’atténuer le vent de fronde contre le pouvoir central ?
La différenciation territoriale est un mot-valise. Un slogan qui correspond parfois, en fait, à une modulation des politiques publiques excessivement traditionnelle. Depuis le XIXe siècle, l’Etat adapte la norme aux réalités locales. C’est même l’un des classiques du droit administratif. Cela fait des décennies que
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