Nombre de changements concernant la responsabilité élargie du producteur (REP) ont été entérinés par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec) du 10 février 2020 : naissance d’un « pack » de nouvelles filières, modification profonde d’autres déjà existantes, pléthore d’évolutions du régime des REP et des conditions imposées aux éco-organismes agréés… ¶
Une sorte de big bang en terrain miné pour les déchetteries publiques, dont la plupart sont déjà à saturation en matière d’occupation (nombre de bennes), de possibilités d’adaptation de l’organisation, de multiplication des exigences de tri ou de temps passé par les gardiens.
Des flux en hausse de 35 %
« Les déchetteries tiennent un rôle de plus en plus central dans la gestion des déchets, observe Christelle Rivière, chargée de mission “collecte, déchetteries, coût de gestion des déchets” au sein de l’association Amorce. En dix ans, les flux collectés sur ces équipements ont augmenté de plus de 35 % et les performances de collecte atteignent désormais 197 kilogrammes par habitant et par an. »
« La hausse des tonnages collectés, la fréquentation importante des sites par les usagers, les modifications de réglementation et, bien sûr, l’apparition de nouvelles filières “REP” ont complexifié leur gestion au fil des années », précise-t-elle.
En outre, énormément de flou règne encore sur les modalités des transformations sur les REP, qui seront engendrées par la loi « Agec », pour les collectivités locales chargées du service public de gestion des déchets. Mais il est certain que le fonctionnement des déchetteries sera impacté. « Chaque REP qui se met en place implique plus de séparations, donc davantage de bennes ou autres contenants à caser dans les déchetteries », résume Vincent Guénin, chef de service « déchetteries et plateforme déchets verts » au Grand Chambéry (38 communes, 135 300 hab.).
Trois nouvelles filières « REP » – jouets, articles de bricolage et jardin, matériels de sport et loisirs –, lancées au 1er janvier, se mettent en place. Elles concernent des volumes faibles, mais cette séparation va engendrer des effets démultiplicateurs en termes de besoins de stockage, de logistique d’enlèvement, de contraintes pesant sur l’organisation générale. Et il y a les mêmes enjeux, puissance mille, pour la filière des déchets du secteur du bâtiment (dont le démarrage est reporté, a minima, d’un an) car celle-ci concerne des volumes énormes, supérieurs à ceux de toutes les autres REP réunies.
Parallèlement, les déchetteries doivent absorber des changements propres aux REP existantes, dont celles qui ont été étendues. Notamment, l’évolution du périmètre de la filière dite de « déchets dangereux des ménages » (pots de peinture, solvants et autres) aux flux provenant des artisans, qui promet de nouveaux rebondissements. Sans oublier les textiles, l’ameublement, les huiles… Enfin, il leur faut développer une « zone de réemploi », autre obligation issue de la loi « Agec ». Le moment est donc critique pour ces équipements qui ont fait leurs preuves.
L’acceptabilité des installations
Depuis de nombreuses années déjà, les collectivités s’interrogent sur l’évolution à donner à leur parc de déchetteries pour garantir aux usagers un service de qualité, en répondant aux exigences réglementaires et aux contraintes budgétaires de maîtrise des coûts. Mise en conformité au regard de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement, remise à plat de l’organisation et conception repensée des installations, augmentation du nombre de flux collectés : autant de réflexions en cours sur des projets de rénovation, de restructuration, voire d’agrandissement, avec ou sans déplacement des sites.
Mais ils se heurtent au même problème : le manque de foncier, auquel s’ajoute une problématique d’acceptabilité sociale d’installations de collecte des déchets à proximité d’habitations. Quelques collectivités y parviennent, à l’occasion de la reconversion d’un site notamment. Comme à Rennes métropole (lire aussi p. 33) où la déchetterie de La Harpe a été implantée à l’emplacement d’un ancien stade, au cœur du tissu urbain. Avec ses 10 000 mètres carrés, c’est un contre-exemple : de très nombreuses déchetteries font plutôt 3 000 à 3 500 mètres carrés. Ce modèle de mégadéchetterie n’est pas reproductible.
Les collectivités sont face à des injonctions contradictoires « entre le renforcement des contraintes réglementaires pesant sur les déchetteries, l’arrivée de nouvelles REP et les enjeux du réemploi, d’un côté, la raréfaction du foncier et la contrainte du zéro artificialisation nette, de l’autre », relève Laurent Hamon, vice-président (EELV) de Rennes métropole, chargé des déchets et de l’économie circulaire.
« Le foncier devient extrêmement rare et le prix des terrains s’envole de façon affolante, témoigne-t-il. Nous n’avons pas d’autre choix désormais que de faire preuve de sobriété dans la consommation de l’espace. » Il voit là une contrainte, mais aussi une opportunité afin d’innover, de faire preuve d’intelligence dans la conception et l’organisation des déchetteries, dans l’articulation des fonctions, en faisant de ces sites de « vrais lieux ressources, d’échanges de savoirs ». Cependant, tout ceci représente un investissement considérable.
La traçabilité prime
Une solution aurait pu consister à déployer un schéma d’organisation générale des nouvelles filières « REP » impliquant un accueil « en mélange » dans les déchetteries avec un acheminement sur un centre de surtri séparant les flux, où chaque éco-organisme viendrait récupérer ce qui relève de sa compétence. Mais ce modèle, qui aurait eu la faveur des collectivités, ne semble pas avoir fait l’objet d’une étude sérieuse. Les enjeux de traçabilité de chaque flux, dans chaque filière, semblent primer, à ce stade, sur la faisabilité de la collecte en déchetteries.
« Les collectivités en ont assez que ces équipements constituent une sorte de carte joker palliant, chaque fois, l’initiative privée défaillante sur toutes les REP », énonce Bertrand Bohain, délégué général du Cercle national du recyclage. A l’heure où la pression s’accroît, gravement, sur les déchetteries des collectivités, l’idée d’arrêter les frais sur certaines filières est clairement présente à l’esprit de nombreux élus.
La complémentarité des dispositifs à optimiser
Dans le cadre des discussions avec les pouvoirs publics sur la construction des nouvelles filières « REP », les représentants des collectivités n’ont de cesse de renvoyer à leurs responsabilités les producteurs et les distributeurs. Car les déchetteries ne sont pas censées être le lieu de collecte principal des déchets sous « REP ».
La mise en place de dispositifs efficaces de reprise des déchets par les distributeurs, en magasins et à l’occasion de commandes « en ligne », ainsi qu’un véritable maillage de points de collecte professionnels, pour la filière du secteur du bâtiment en particulier, sont indispensables. Le Centre national du recyclage (CNR) rappelle les fondamentaux : l’implication des collectivités dans ces systèmes « REP » relève du volontariat, alors que des obligations pèsent sur les producteurs, les distributeurs, les éco-organismes. « C’est simple, si la complémentarité des dispositifs de collecte n’est pas optimisée et que les collectivités ne se voient pas proposer des solutions “à tiroirs” qui soient viables, sur le plan financier et opérationnel [regroupement de flux, susbstitutions de bennes, etc.], cette fois, il ne faudra pas compter sur elles », prévient Bertrand Bohain, délégué général du CNR.
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