[Ally, 131 hab., Haute-Loire] A la frontière entre la Haute-Loire et le Cantal, le petit village d’Ally, perché à plus de 1 000 mètres d’altitude, est réputé pour son plateau venteux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la crête qui borde le bourg à l’ouest est hérissée de plusieurs générations de moulins à vent : des modèles en bois et en pierre à la Don Quichotte datant du XIXe siècle côtoient 26 éoliennes de 120 mètres de haut en fonctionnement depuis 2005.
Aux beaux jours, les cars de touristes ou de scolaires cheminent entre les édifices. A leur bord, des animateurs de l’association Action Ally 2000. « Jusqu’à six saisonniers encadrent les visites du parc éolien et/ou des moulins et animent des ateliers thématiques comme la fabrication de cerfs-volants », explique Alban Desimeur, unique salarié de l’association chargée de valoriser le territoire.
Projet novateur
Dans ce territoire en proie à un déclin démographique, l’attractivité touristique est un précieux contre-pied : le petit bourg de 131 âmes voit ainsi défiler entre 8 000 et 10 000 visiteurs par an. L’année 2007 a été la plus faste : deux ans après l’inauguration du parc éolien, plus de 15 000 visiteurs se sont pressés au pied des géantes d’acier. Le parc, construit par l’entreprise canadienne Boralex, était alors le plus puissant de France (39 mégawatts), produisant l’équivalent de la consommation annuelle d’électricité de 20 000 foyers.
« Quand on nous a proposé les éoliennes, j’ai été conquise par la perspective d’un projet novateur qui mette en valeur le territoire », explique Marie-Paule Olagnol, maire d’Ally pendant trente ans (jusqu’en 2014) et aujourd’hui présidente d’Action Ally 2000. « Et le développement économique. Ce n’est pas rien. Ici, à part l’agriculture, il n’y avait pas grand-chose », rappelle-t-elle.
Actions de mécénat
Selon Boralex, la maintenance du parc éolien a représenté un marché de plus de 5 millions d’euros pour les entreprises locales depuis sa mise en service.
Surtout, les machines prodiguent annuellement 430 000 euros de retombées fiscales aux collectivités : « 118 000 euros reviennent aux communes d’Ally et de Mercœur, où sont implantées les éoliennes, 172 000 euros à la communauté de communes des rives du Haut Allier et 140 000 euros vont au département de la Haute-Loire », détaille François Palmier, chef de projet « Haute-Loire » pour Boralex. « A l’époque, ça a fait doubler le budget de la commune, se souvient Marie-Paule Olagnol. On a pu refaire le toit de l’église, remettre l’école aux normes, rénover la mairie, ouvrir des chemins de randonnée. » Le soutien de Boralex passe, en outre, par de multiples actions de mécénat. L’entreprise a ainsi soutenu la rénovation de certains moulins à vent et son logo truste les points stratégiques du village, de la façade de la mairie au terrain de foot en passant par la table d’orientation.
Avec le temps, l’attractivité touristique des éoliennes s’est tassée mais les riverains, eux, se sont véritablement attachés aux géantes. « Elles font partie de l’identité du plateau maintenant. C’est un symbole de développement durable. Si on disait qu’on va les démonter, l’opposition serait bien plus forte qu’au moment de leur installation », prévient Marie-Paule Olagnol. De fait, les réfractaires au projet se comptent aujourd’hui sur les doigts de la main. « A une époque, l’opposition a été importante mais elle n’était pas locale », se souvient-elle. Cinq riverains, soutenus par la Fédération environnement durable, ont traîné en justice trois conseillers municipaux pour prise illégale d’intérêts. Le combat judiciaire, qui a duré huit ans, semble avoir éprouvé tout autant les deux camps et « fracturé le lien social », de l’aveu même d’une opposante.
Si le secteur est solidement ancré à droite (Marine Le Pen et François Fillon ont cumulé plus de 50 % des voix au premier tour de 2017), la façon dont les figures de droite et l’extrême droite brocardent l’éolien n’est donc pas du goût des habitants. « Ce sont des irresponsables ! » lâche Marie-Paule Olagnol. « Ce serait quand même dommage de s’en passer », affirme Jean-Louis Portal, actuel maire (SE), partisan du pragmatisme.
Règles durcies
Il n’est pas le seul, d’ailleurs. Sur les plateaux TV, le président (LR) de la région Auvergne – Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, appelle volontiers les maires à se passer d’éoliennes. Mais, dans les faits, « tous nos projets sont dans des territoires de droite et portés par des élus proches de lui », remarque Damien Boully, responsable du développement de Boralex dans la région. Du reste, Laurent Wauquiez a lui-même validé, en décembre 2019, le schéma régional d’aménagement qui prévoit une multiplication par quatre de la capacité éolienne à l’horizon 2030 (pour atteindre 2 500 mégawatts), remarque Jean-Louis Portal.
Bien décidés à écrire l’histoire de l’éolien en Auvergne, les élus d’Ally soutiennent activement plusieurs projets portés par Boralex. L’entreprise a déposé en 2020 deux demandes d’extension du parc, au nord sur la commune de Mercœur (onze machines) et au sud, vers Rageade (huit machines). D’autre part, les éoliennes actuelles, bientôt âgées de 20 ans, pourraient être démantelées et remplacées par de plus puissantes.
Malgré un contexte local « ultrafavorable », Boralex se heurte aux services de l’Etat. En mars 2020, le préfet de région a retoqué le projet de Mercœur. « Tout était au vert, l’enquête publique favorable, les associations ne bougeaient pas », raconte Jean-Louis Portal, estomaqué. « Les règles se sont considérablement durcies, constate Damien Boully. Il faut fournir beaucoup d’éléments, faire de nombreuses études. Entre la demande d’autorisation environnementale et son obtention, il peut s’écouler jusqu’à trois ans. » L’entreprise, qui a fait appel de la décision préfectorale, reste confiante dans l’aboutissement des projets. « Les gens évoluent, il faut que les pouvoirs fassent de même », espère de son côté Marie-Paule Olganol.
Une opposition qui s’est réveillée deux ans après
A Ally, l’opposition à l’éolien s’est manifestée deux ans après l’inauguration du projet, « quand on s’est rendu compte des nuisances », explique Noëlle Marchet, ex-présidente de l’association Ally vivre en paix (aujourd’hui en sommeil). Elle se plaint du balisage nocturne, des ombres et des échos provoqués par les machines. En cas d’extension du parc, elle craint d’être encerclée.
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