« Le bois va augmenter sérieusement : comment conserver les marges sur le cercueil ? ». Patrick Lerognon, directeur général des pompes funèbres publiques de La Rochelle et secrétaire général de l’Union des professionnels du funéraire public, ne dissimule pas son inquiétude. Depuis décembre 2021, les fabricants de cercueils ont informé leurs clients qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. « Notre fournisseur, Bernier, nous a indiqué qu’il serait dans l’obligation d’augmenter les tarifs, indique Régine Durand, directrice des affaires funéraires du grand Narbonne. La hausse de 6% nous a obligé à la répercuter sur les cercueils (de 3 à 4%) et le reste sur les prestations des maîtres de cérémonie et chauffeurs porteurs, pour ne pas augmenter de manière significative le prix du cercueil. » Depuis huit ans à son poste, Régine Durand n’a jamais été confrontée à une hausse du prix du cercueil en cours de marché. A l’avenir, elle s’attend à de nouvelles hausses.
Exportations et crise sanitaire : le combo haussier
Bernard Canard, cogérant de l’entreprise familiale de cercueils Canard-Sefic, fournisseuse de plus de 50% des SEM (société d’économie mixte) et régies funéraires, confirme : « Début 2022, nous avons dû augmenter de 5 à 10% le prix du cercueil pour tous nos clients (entre 15 et 35€). Il y aura une nouvelle hausse d’environ 3% d’ici quelques mois et encore une en 2023. Nous n’avons pas le choix, quand la matière première augmente de 50 ou 60%. Dans l’entreprise familiale, on n’a jamais vu ça ! »
Sur les 120 000 cercueils fabriqués chaque année par Canard-Sefic (dont 10 à 15% sont vendus au secteur public), 100% du chêne et 80% du pin proviennent pourtant de forêts françaises. Mais la Chine achète une grosse partie du chêne français, qui devient plus rare et plus onéreux. Conséquences directes : pénurie et envol des prix pour les acheteurs français. « Sur ce qu’on récolte, un tiers a été acheté par la Chine avant que ça n’arrive dans les scieries, explique Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois. Chaque année, c’est un peu plus. Depuis 2020, il manque 20% de chêne aux scieurs français pour honorer leurs commandes. Avant, c’était 5 ou 10%. Les fabricants de cercueils sont en concurrence avec les menuisiers, mais on peut décaler de 15 jours pour réparer sa fenêtre, pas pour un enterrement. » Le prix d’un chêne s’élevait à 100€ en 2019, et monte aujourd’hui jusqu’à 180€. « Il n’y a pas de limite avec les Chinois, ils peuvent augmenter à l’infini », s’inquiète Bernard Canard. Idem avec le pin, deuxième bois prisé des fabricants de cercueils : aux Etats-Unis, la reprise économique post-covid a été fulgurante et a entraîné des hausses de prix.
Sans parler des stocks déjà peu garnis, à cause des décès dus au Covid-19 : en 2021, 657 000 personnes sont décédées, soit 44 000 de plus qu’en 2019. « Les stocks manquent, renchérit Nicolas Douzain-Didier. Si une nouvelle épidémie arrive avec 15% de morts en plus, les fabricants ne réussiront pas à honorer leurs commandes. Il n’est pas normal que le bois de chêne destiné au cercueil n’ait pas été pas classé bien essentiel dans la liste Covid, quand le bois de papeterie pour faire du PQ l’était. » Le fabricant Bernard Canard n’a plus que six mois de stock d’avance quand il en avait un an en 2019 : « On pourrait travailler plus, on compte les camions qui arrivent, on est dans l’inquiétude permanente. »
« Les familles tiquent sur la note élevée du service »
Chez les SEM ou régies funéraires, ces augmentations se répercutent sur le prix des obsèques. Eric Dreneau, directeur général délégué des pompes funèbres intercommunales de Tours, voit ses tarifs votés une fois par an, par la métropole, dans le cadre de la délégation de service public : « Nous avons donc augmenté en janvier 2022, sur la base des augmentations annoncées, mais nous ne pourrons pas le faire à nouveau dans l’année. Notre objectif est de limiter l’évolution des tarifs des produits (cercueils, capitons) et de travailler sur le service. Plus on capitalisera sur l’expérience client, plus la valeur humaine sera valorisée. »
Même avis chez Patrick Lerognon, à La Rochelle : « Aujourd’hui, la facturation des prestations de service est à perte, il faut donc revaloriser la prestation de service à son juste coût. A La Rochelle, la stratégie est de développer le service (porteurs, véhicules, maîtres de cérémonie) et y faire basculer la marge sur le cercueil. »
Si l’objectif est novateur, le secteur funéraire peine à se renouveler, à la fois côté professionnels et côté familles. A Narbonne, Régine Durand sait qu’il faudra une évolution des mentalités : « On essaiera d’absorber car on ne pourra pas augmenter les tarifs des cercueils à outrance. Mais il faut la volonté des familles d’avoir un accompagnement de qualité. Aujourd’hui, elles voient surtout le cercueil, les capitons, l’emblème. » Aubin de Magnienville, président de la Chambre syndicale nationale de l’art funéraire (CSNAF), confirme cette difficulté : « Quand les familles voient une note élevée pour le service, elles tiquent davantage que sur le prix du cercueil. Les pompes funèbres ont vite compris qu’il faut faire la marge sur ce qui représente quelque chose : le cercueil reste, pas le personnel. Dans le public, il y a peut-être un peu plus de marges sur le personnel, les autres devront sûrement s’en inspirer. »
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