La tour du Gère, haute de seize étages, vidée il y a trois ans pour enrayer les trafics de drogue, se dresse au-dessus de la France Services de La Seyne-sur-Mer, la plus fréquentée de France. Elle est implantée au cœur du quartier nord et de la Cité Berthe, classée quartier de reconquête républicaine et quartier prioritaire de la ville. La structure a été labellisée « France Services » dès la première vague de ce programme destiné à ramener des services publics dans les territoires. Une plaque rutilante est d’ailleurs apposée à côté de la porte vitrée coulissante qui a connu des jours meilleurs. Mais le fronton affiche toujours en grandes lettres « Maison de services publics », l’ancienne appellation pour cette structure portée depuis 1999 par un groupement d’intérêt public constitué de la mairie, du département du Var et de la CAF.
Chef d’orchestre attentif
Ce jeudi gris de mars, et comme à son habitude depuis trois ans, Abdellatif Ouali Dada, agent de sécurité, joue son rôle de « chef d’orchestre » comme il aime l’appeler, lui qui « dirige la symphonie de la maison » en orientant les visiteurs dans le bon parcours (accueil, salle d’attente avant un rendez-vous, espace CAF…), tout en veillant à maintenir une atmosphère apaisée. « Mon but est de désamorcer les tensions avant qu’il y ait conflit. Nous sommes dans une zone sensible », explique celui qui est aussi réalisateur et travaille sur un projet de série, dont une séquence a été tournée ici.
Les locaux s’étendent sur près de 810 mètres carrés et accueillent aussi une protection maternelle et infantile, une maison de justice et du droit, des assistantes sociales et de nombreuses structures œuvrant dans le champ de l’insertion et de l’emploi. La cadence va bon train ce jour-là, et les tranches de vie administratives se succèdent. La fatigue et le désarroi sont aussi palpables. « On est coincés », lâche Carine, petite-fille de Claude, 85 ans, pris dans un imbroglio après une vente de voiture qui s’est transformée en vol, le paiement n’ayant jamais eu lieu. Alexandra Igier, agente à l’accueil, parvient à se connecter à son compte ANTS (Agence nationale des titres sécurisés) via Ameli sur France Connect… pour transmettre les justificatifs papier scannés. Entre deux coups de téléphone et deux démarches à accomplir, sa collègue Mariam Raïes évoque, en aparté, des besoins cruciaux pour des habitants qui, « pour la plupart, ne connaissent pas leurs droits ».
Fracture numérique en cause
« On joue le rôle d’intermédiaires pour débloquer les situations administratives et casser la fracture numérique », résume Kevin Pala, 26 ans, embauché à l’issue d’un service civique. A côté, un homme retraité de 64 ans est sans aide personnalisée au logement (APL) depuis deux mois : la dernière quittance de loyer n’a pas été transmise à la CAF par son bailleur, ce qui le prive de plus de 200 euros par mois. Nadjet, 61 ans, essaie de savoir comment va s’articuler son allocation aux adultes handicapés (AAH) avec son départ en retraite.
« Cette France Services est un impératif », affirme Malika Baghdad, présidente de la structure et adjointe à la maire (LR) du quartier nord. « Nous avons 45 % de taux de chômage, 65 % de familles monoparentales, une population vieillissante, des personnes en situation d’illettrisme, beaucoup d’habitants bénéficiaires du RSA, certains confrontés à des difficultés multiples de logement, de santé. A tout cela s’ajoute la fracture numérique, et ce sont des personnes que l’on retrouve ici. »
La fréquentation de la structure est exceptionnelle : en 2018, elle avait accueilli plus de l’équivalent de la population de ville ! En 2021, après la crise sanitaire, un incendie et une fermeture de plusieurs mois, elle a en accueilli 38 943. « Les démarches dématérialisées sont de plus en plus nombreuses et sont chronophages. Notre charge de travail devient énorme », alerte la directrice, Sophie Beauvallet.
« Les gens nous déposent leurs frustrations, on fait de notre mieux pour trouver des solutions. Nos journées sont dures », confie Odile Lemesle, agente à l’espace « CAF ». En première ligne face à des usagers parfois agressifs, les agents sont nombreux à faire état d’une fatigue psychologique et ont le sentiment de se substituer à des fonctionnaires sans en avoir le statut ni le salaire, le tout dans un environnement de travail vétuste. Car même désaffectée, la tour du Gère, au-dessus de leurs têtes, leur réserve des désagréments, comme un dégât des eaux après une tentative de vol de câbles en cuivre. Une panne de la chaudière, puis du réseau hydraulique grèvent les dépenses et Sophie Beauvallet doit adopter une posture d’équilibriste intenable pour boucler le budget : « Cela fait deux ans que je tire la sonnette d’alarme. A ce rythme, nous pourrons tenir trois ans avant de mettre la clé sous la porte, faute de solution pérenne. »
Précieuse alchimie
« Le gros point d’interrogation, c’est l’Etat. Il faudrait que la subvention soit proportionnelle au nombre d’usagers reçus », pointe Malika Baghdad. Et si, en plus, il fallait déménager, où trouver une surface équivalente, afin de pouvoir conserver la précieuse alchimie entre la France Services et les associations ? Personne n’a la réponse. « Ils devront prendre une décision, un jour la tour va nous tomber sur la tête », conclut Sophie Beauvallet.
Un budget trop serré
Le budget de la France Services de La Seyne-sur-Mer est de 305 000 euros par an, avec un déficit autour de 20 000 euros. La subvention de l’Etat est la même que pour toutes les autres France Services : 30 000 euros par an. Cette année, la métropole Toulon Provence Méditerranée (12 communes, 439 000 hab.) a accordé une subvention exceptionnelle de 10 000 euros. Le bailleur a consenti une baisse de loyer de 8 000 euros par an.
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