« Les résidences sociales, segment du logement situé entre l’hébergement d’urgence et le logement social, demeurent très mal connues. Appelé tantôt “logement accompagné”, tantôt “logement adapté” ou “d’insertion” », ce secteur est entouré d’un flou préjudiciable à son développement », constate la sociologue Juliette Baronnet. Si le terme de « foyer » est apparu à l’orée du XXe siècle pour désigner ces équipements accueillant les personnes qui quittaient la campagne, le premier établissement qui porte l’appellation de FJT a vu le jour à Tours, en 1945. « Il a été construit pour répondre aux besoins de l’exode rural, loger et nourrir les jeunes », relate Caroline Joveneaux, directrice générale du gestionnaire actuel, l’association Jeunesse et habitat, adhérente à l’Union régionale pour l’habitat des jeunes.
A partir de la fin des années 1950, un autre type de foyers est apparu, les FTM, destinés à accueillir les populations venues, notamment, des pays du nord de l’Afrique, pour participer à la reconstruction du pays. Ces gros ensembles qui pouvaient loger 100, 200 personnes, voire plus, étaient composés de chambres d’environ 8 mètres carrés et de cuisines collectives. Fortement dégradés, les FTM font l’objet d’un « plan de traitement » depuis 1997. Objectif : transformer les chambres en studios autonomes, plus adaptés aux conditions de vie modernes. Une grande partie des résidences sociales « généralistes » sont issues de ce plan.
S’y ajoutent des résidences construites « ex nihilo ». Les FJT sont également réhabilités pour devenir des résidences habitat jeunes. En 2002, apparaissent les pensions de famille, petites structures de 15 à 25 logements qui proposent un accompagnement social renforcé et accueillent des personnes en situation de grande exclusion. Enfin, la circulaire du 4 juillet 2006 vient encadrer les résidences sociales.
Les travailleurs de première ligne
Les résidences sociales permettent de loger un public défavorisé dont les caractéristiques ont évolué avec les années. Aujourd’hui, elles visent les jeunes, les familles monoparentales, les travailleurs pauvres ou les sans-abri. « La crise sanitaire a révélé l’importance de ce que l’on a appelé “les travailleurs de première ligne”. Or ils logent parfois dans des résidences sociales », observe Arnaud de Broca, délégué général au sein de l’Union professionnelle du logement accompagné, le plus gros regroupement de gestionnaires de résidences sociales.
A Tours (137 100 hab.), le FJT en pleine rénovation loge les apprentis, les jeunes intérimaires, en CDD ou en période d’essai. Bref, « cette jeunesse qui contribue au dynamisme économique du territoire », selon Caroline Joveneaux. En Haute-Savoie, la problématique est tout autre. Bruno Mathieu, directeur du gestionnaire AATES habitat solidaire, témoigne : « Nous gérons 20 résidences sociales pour 750 logements. La majorité de nos résidents sont des salariés qui ne parviennent pas à se loger sur notre territoire où les loyers sont chers. C’est l’institutrice d’école qui vient d’être mutée, c’est le jardinier employé par la mairie. »
Naucelle (2 000 hab., Aveyron) travaille avec le gestionnaire bailleur Soliha sur un projet de résidence sociale de 15 logements accessibles, destinée aux seniors autonomes. « Nous disposons, en centre-ville, d’un bâti patrimonial sauvegardé, des bâtiments à colombages datant du XIVe siècle et fortement dégradés par endroits. En parallèle, de jeunes seniors modestes habitant les hameaux aux alentours aimeraient venir s’installer en centre-bourg », décrit Karine Clément, la maire.
Une appellation pas très populaire
Enfin, les résidences sociales – notamment les pensions de familles – permettent de lutter contre la pauvreté. C’est le cas de La Ferté-Bernard (8 900 hab., Sarthe) qui accueille une pension de famille de 15 logements. « L’Envol, géré par l’association Nelson-Mandela, répond à un vrai besoin d’une partie de la population, que l’on retrouve ailleurs en France, qui doit réapprendre à vivre », estime Didier Reveau, le maire. Si les résidences sociales peuvent satisfaire à la demande locale, elles souffrent d’une méconnaissance de la part des élus, voire d’une image négative.
« L’appellation “FTM” n’est pas très populaire en matière d’électorat. Ce n’est pas évident pour les politiques de reconnaître que la pauvreté est là, bien réelle, et qu’il faut y apporter une réponse », observe Thierry Bordot, maire de Saint-Loup-sur-Semouse (3 200 hab., Haute-Saône), qui attend avec impatience la fin de la construction d’une pension de famille de 25 logements. C’est que l’histoire remonte à loin. Il s’agit du FTM des anciennes usines Parisot. « Cela fait dix ans que l’on alerte sur la vétusté des bâtiments. Les différents préfets se sont succédé. Le dossier traînait. C’est le département qui a pris la mesure du problème et a initié un tour de table financier », poursuit le maire.
Au-delà de l’image négative, il y a la réalité des difficultés des publics. « Très démunis, ils sont demandeurs d’aides sociales auprès du centre communal d’action sociale. Ça peut chiffrer. Il existe des problèmes collatéraux qui peuvent faire peur », confie Geneviève Girard, maire de Portes-lès-Valence (10 700 hab., Drôme). Enthousiasmée par la visite d’une pension de famille, elle a initié, avec Soliha, le projet d’une telle structure dans un bâtiment ancien rénové. « Il y a un travail à faire sur l’acceptation des publics et la levée de la crainte des élus. Ils craignent la montée de l’insécurité, or elle baisse avec les résidences sociales », estime Marie Quinton, adjointe chargée du logement et de la lutte contre l’exclusion à Tours.
Pas de projet sans les élus
Le maire a, en quelque sorte, le droit de veto sur une résidence sociale. « Si un élu n’en veut pas, le projet ne voit pas le jour », affirme Marie Quinton. La première condition de la réussite est donc la volonté politique. « On ne peut pas monter de projet sans les élus. On les coconstruit avec eux », souligne Arnaud de Broca. Le rôle d’un maire n’est pas tant de financer – les financements sont apportés par l’Etat, la région, l’intercommunalité, le département – que de jouer le facilitateur, de réunir les acteurs et impulser le projet.
« Nous, les élus, nous avons la compétence de l’urbanisme et des projets architecturaux. Nous pouvons choisir l’endroit où installer une pension de famille, qui doit être à proximité des services. Nous pouvons veiller à la conception des espaces intérieurs, individuels et collectifs, travailler avec les partenaires sur la qualité », estime Marie Quinton. Selon elle, les réhabilitations ont beaucoup d’avantages car elles permettent d’utiliser des espaces délaissés et de participer à la sauvegarde du patrimoine.
L’un des enjeux consiste à intégrer les résidences sociales dans le quartier. Ainsi, la pension de famille La Bazoche à Tours est également un dépôt de paniers bios. Marie Quinton ajoute : « Ses résidents ont participé à la Nuit de la solidarité, qui décompte le nombre de sans-abri sur le territoire. C’était émouvant, des anciens sans domicile qui allaient au contact des personnes à la rue. »
« Les gestionnaires doivent désormais s’adapter aux besoins locaux »
Juliette Baronnet, sociologue à FORS Recherche sociale, organisme d’étude et de conseil
« Les collectivités doivent monter en compétences sur les questions de développement des résidences sociales. C’est un enjeu car, aujourd’hui, l’offre est méconnue. Par ailleurs, les gestionnaires ont été habitués à développer leur offre en lien avec des orientations nationales. Ils doivent désormais s’adapter aux besoins locaux, que les collectivités ont du mal à estimer puisque les publics relèvent en partie de l’hébergement d’urgence, compétence de l’Etat. Les résidences sociales ont de nombreux atouts. Elles sont notamment beaucoup plus réactives que le logement social pour répondre aux besoins de logement des personnes défavorisées. »
« Nous avons voulu apporter une réponse aux jeunes sortant de l’aide sociale »
Loïc Richard, maire de Riedisheim (12 500 hab., collectivité européenne d’Alsace)
« La résidence sociale Les Amaranthes est un ancien foyer pour travailleurs migrants employés dans une usine de Peugeot, à côté de Mulhouse. L’ensemble des immeubles est très vétuste et laissé à l’abandon. La ville a acquis le foncier en 2017 et l’a revendu à l’association gestionnaire, Aléos, de façon à préserver son équilibre financier. Nous avons souhaité apporter une réponse aux jeunes sortants de l’ASE qui se retrouvent sans solution à 18 ans.
La résidence sociale compte 49 places dont 12 dédiées aux jeunes le plus en difficulté : les sortants de l’ASE et ceux qui vivent dans la rue. Ils nécessitent un accompagnement renforcé, orienté vers l’apprentissage des codes sociaux, vers la santé psychique. Un référent adulte y est présent toute la semaine ainsi que les vendredis et samedis soir. Notre objectif est de les mettre dans un parcours d’insertion socioprofessionnel. »
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