Le processus de réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics est sur le point d’arriver à son terme. Alors que l’ensemble des spécialistes de la matière l’appelaient de leurs vœux, elle devrait leur laisser un goût amer.
Rappelons les principes : le comptable public, indépendant de celui qui ordonne la dépense, est en contrepartie responsable sur ses deniers personnels des sommes qu’il manie. Cette grande responsabilité l’oblige, mais elle protège son indépendance. L’ordonnateur de la dépense peut voir sa responsabilité personnelle engagée dans des cas précis et assez rares, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) rendant moins de dix arrêts par an.
Une volonté de restreindre le pouvoir du juge
L’idée d’une unification de ces régimes de responsabilité, pour permette au juge financier de rechercher les véritables auteurs d’infractions, avec des sanctions proportionnées à la gravité de celles-ci, a fait son chemin. Le Syndicat des juridictions financières (SJF) en avait fait sa proposition majeure en 2018 ; elle a été reprise à son compte par le Premier président de la Cour des comptes dans le projet « JF 2025 », lancé en 2021 ; enfin, cette idée a enfin trouvé sa traduction dans la loi de finances pour 2022, habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnance sur le sujet.
Les grandes lignes du projet ont été présentées à l’automne, dès la transmission du projet de loi de finances. Le recours à l’ordonnance a pu surprendre, sur un sujet certes technique mais éminemment important, puisqu’il concerne la redevabilité des gestionnaires de l’argent public devant des juges indépendants. Le fond a déçu, puisqu’il était clair, à la lecture de l’article d’habilitation, que l’intention de ses auteurs était de restreindre le pouvoir du juge pour faire émerger une « responsabilité managériale » dont on cerne mal les contours.
Ainsi, le champ des gestionnaires publics pouvant voir leur responsabilité engagée ne comprend ni les ministres, ni les élus locaux (sauf dans des hypothèses rares voire théoriques). Les infractions et les sanctions sont strictement encadrées, ce qui témoigne au mieux d’un manque de confiance dans la capacité du juge financier à faire respecter le droit public financier avec discernement.
Des chambres régionales des comptes dépossédées de leur pouvoir juridictionnel
Enfin, à rebours d’une volonté de rapprocher la décision publique du citoyen à travers la décentralisation, les chambres régionales des comptes (CRC), créées en 1982, se voient dépossédées de leur pouvoir juridictionnel, leurs magistrats étant associés au traitement d’un contentieux centralisé à la Cour des comptes.
Les conséquences ne seront pas neutres. Pour les CRC, il s’agit d’un repositionnement dans le paysage institutionnel local, accentué par la loi « 3DS », qui leur confie une compétence d’évaluation des politiques publiques, notamment sur saisine des présidents de conseil régional, départemental ou de métropole. Mais quelle sera l’autorité d’un juge qui ne dispose plus de pouvoir de sanction ? A plus long terme, si les juridictions financières ne se saisissent pas pleinement de ce nouveau régime de responsabilité, ce rôle de conseiller dans la conduite des politiques publiques prendra inévitablement le pas sur la sanction des fautes dans la gestion des deniers publics.
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