Le constat semble clair : nous sommes loin d’être tous égaux face à la dématérialisation. « Si elle se diffuse dans la population, la sollicitation en ligne de l’administration continue à être plus facilement réalisée par les groupes les plus diplômés et favorisés (79% des hauts revenus, 82% des cadres, 86% des diplômés du supérieur), tandis que les plus âgés en restent éloignés (45% des 70 ans et plus n’y ont pas recouru au cours des douze derniers mois). Les plus jeunes sont, de loin, le groupe le moins utilisateur de l’e–administration (71% des 12–17 ans n’ont accompli aucune démarche en ligne) », relevait la dernière enquête du Credoc, publiée en 2021.
Et si elle peut être choisie, pour d’autres la dématérialisation peut être subie : « Plus vous êtes précaires, plus vous êtes confrontés à la dématérialisation », résumait Benoît Vallauri, responsable du laboratoire régional d’innovation Ti Lab en Bretagne, dans cette interview.
Pour Nadia Okbani, politiste à l’Université de Toulouse Jean Jaurès, il y a d’ailleurs un lien très direct entre la dématérialisation et l’essor d’une forme de marchandisation : elle estime qu’avec « la dématérialisation, le travail administratif a été renvoyé aux usagers. Quand ils ne sont pas en mesure de le réaliser, ils vont chercher de l’aide auprès des collectivités locales, des acteurs locaux, qui subissent un transfert de charge, voire auprès de services privés qui se positionnent par effet d’opportunité face à ces besoins ».
Un phénomène qui aurait aussi capitalisé sur l’absence de simplification en amont de toute dématérialisation : « Au lieu d’avoir d’abord simplifié, rationalisé, organisé nos administrations, on a rajouté une couche numérique sur une transformation de l’administration très jacobine, centralisée, complexe. Cette complexité crée des niches et provoque des opportunités pour les acteurs privés qui se positionnent en prestataires extérieurs », abonde Pascal Plantard, professeur d’anthropologie des usages des technologies numériques et codirecteur du groupement d’intérêt scientifique Marsouin.
La gratuité en danger ?
« Où est passée la gratuité du service public ? Tout ce qui est dématérialisé est coûteux pour le citoyen, avec un coût moyen de 60 euros rien que pour être connecté à Internet avec les bons outils. Ce type de services doit être combattu : nous sommes ici à l’opposé de ce pour quoi on travaille, c’est-à-dire renforcer les services publics. Il y a un véritable enjeu de modèle de société », réagit pour sa part Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée générale de Villes Internet.
Les collectivités locales pourraient d’ailleurs jouer un rôle significatif dans l’affirmation de ce modèle. Sabrina Aouici et Rémi Gallou, socio-démographes et chercheurs à l’Unité de recherche sur le vieillissement de la Cnav, écrivaient, en conclusion d’un rapport dédié à la dématérialisation des services publics et sur l’impact des difficultés d’accès aux services numériques :
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Gazette des Communes
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Quand dématérialisation rime avec marchandisation des services publics
Sommaire du dossier
- Services publics : quand dématérialisation rime avec marchandisation
- Marchandisation des services publics numériques : comment en est-on arrivé là ?
- La tragique histoire de Mes-Aides
- Marchandisation des services publics : aux frontières de la légalité ?
- Cartes grises : face à la fermeture des guichets de préfecture, l’usager devient un client comme les autres
- La Défenseure des droits regrette « l’éloignement des services publics dû à la dématérialisation »
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