Depuis plusieurs mois, des pénuries affectent les matières premières en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19. Selon Frank Pistone, gestionnaire des marchés publics de la mairie d’Eze (2 300 hab., Alpes-Maritimes), « ça a commencé avec la mini-reprise économique de 2021, où, tout d’un coup, les entreprises ont commencé à nous parler “hausse des prix” ». Un phénomène qui n’est pas nouveau. L’ampleur des secteurs concernés l’est : le bâtiment et les travaux publics, l’automobile, les composants électroniques, le bois et ses dérivés, l’acier, l’énergie…
Ce que prévoit le contrat
Cette situation a notamment pour conséquence une montée des prix et des retards de livraison. La hausse des prix peut surprendre dès la phase de passation du marché. Frank Pistone raconte : « Pour la première fois depuis vingt ans que je suis acheteur public, on m’a proposé des tarifs à la hausse durant la phase de négociation dans un marché pour la construction d’une école. » Mais à ce moment de la procédure, si les prix sont trop élevés, soit on stoppe le projet, soit on demande une rallonge budgétaire.
C’est donc surtout une fois que le marché est lancé – la phase d’exécution – que la survenue d’une hausse des prix ou de retards va poser problème. Si l’entreprise ne reçoit pas le matériel nécessaire, ou si elle est confrontée elle-même à une montée des prix de la part de son fournisseur, le projet de la collectivité est en péril.
Les solutions permettant de gérer ce type de situations sont connues. « Il faut commencer par regarder ce qui est prévu dans le contrat, notamment la présence de clauses de révision des prix, de pénalités de retard ou encore de réexamen », explique l’avocate spécialiste en droit public Céline Sabattier.
« La clause de révision des prix est actionnée automatiquement. Elle intervient selon la périodicité prévue dans le contrat. Dans les marchés de travaux, les prix sont en général révisés tous les mois », précise Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique du conseil départemental de la Côte-d’Or. « Il est important de prévoir des clauses de révision adaptées – index ou indices, périodicité… – dans les marchés exposés aux fluctuations économiques », poursuit-il.
Eviter le bras de fer
Si le contrat ne prévoit pas de clause de révision ou si celle-ci ne suffit pas à couvrir le déséquilibre pour l’entreprise, deux solutions se présentent : conclure un avenant justifiant des circonstances imprévisibles ou mettre en œuvre la classique « théorie de l’imprévision ». « L’entreprise doit prouver que ses difficultés financières excessives, tenant par exemple à l’explosion des prix, sont postérieures à la conclusion du contrat et qu’elle ne pouvait pas les prévoir. Dans ce cas, la personne publique peut verser une indemnité à l’entreprise. Attention, toutefois, la théorie de l’imprévision ne peut pas couvrir un aléa économique normal. Il faut véritablement un bouleversement économique imprévisible », précise maître Sabattier.
Les collectivités disposent donc d’outils qui permettent de prendre en considération les difficultés inédites rencontrées par les entreprises. « On vit une période exceptionnelle qui nécessite de faire preuve de bon sens, ce qui n’est pas incompatible avec la rigueur juridique et la protection des intérêts des collectivités. Il faut s’adapter au contexte, conseille Céline Sabattier. Il faut, en tout cas en première intention, éviter de partir au bras de fer avec une entreprise en difficulté, car le besoin de la collectivité pourrait être compromis. »
Arnaud Latrèche estime par exemple que « l’acheteur peut accorder une prolongation du délai ou neutraliser la période transitoire d’indisponibilité des matériaux et ne pas appliquer les pénalités de retard ».
Bercy recommande la tolérance
La direction des affaires juridiques du ministère de l’Economie et des finances invite les acheteurs des collectivités à anticiper désormais la survenance de pénuries, ainsi que les conséquences possibles. Elle préconise, pour ce faire, de prévoir des prix révisables pour les marchés répondant à des besoins continus ou réguliers, et conclus pour une ou plusieurs années. Elle conseille aussi d’introduire des clauses exonérant le titulaire de pénalités de retard et prévoyant la prolongation des délais d’exécution en cas de circonstances échappant à la responsabilité du titulaire et le mettant dans l’impossibilité de respecter les délais contractuels. Enfin, elle suggère de verser une avance d’au moins 30 % du montant du marché (sans constitution de garantie financière) et d’émettre des ordres de service de commencement des travaux distincts, pour chaque entreprise intervenant dans une même opération de travaux.
Domaines juridiques