« Territoires secondaires : le droit de vivre au pays est-il menacé ? Se loger ne peut pas être que secondaire » : tel est l’intitulé du colloque organisé par Xavier Roseren, député (LREM) de Haute-Savoie, et Jean-Félix Acquaviva, député (Liberté et Territoires) de Haute-Corse, le 25 janvier. Frontière alpine, Corse, mais aussi Bretagne, Pays Basque, et même, désormais la Normandie, subissent les effets délétères d’une spéculation immobilière amplifiée par la crise sanitaire et les départs d’habitants des métropoles. Il y a urgence, car les « habitants permanents » (nouvelle expression consacrée) ne peuvent plus se loger, les prix à l’achat comme à l’acquisition devenant inaccessibles pour eux.
Le statut de résident, anticonstitutionnel ?
Parmi les invités de ce colloque : Nils Caouissin, conseiller régional d’opposition en Bretagne, auteur d’un « Manifeste pour un statut de résident en Bretagne ». Un statut proposé par des élus corses dès 2014. « Il s’agit d’autoriser l’acquisition d’un bien uniquement à des personnes habitant depuis un certain temps, par exemple un an, sur l’intercommunalité – et non pas n’importe où en Bretagne -, précise Nils Caouissin. Le statut de résident serait ouvert à des Bretons, à des personnes d’autres régions ou d’autres pays, qui ont habité pendant au moins un an sur place ». Selon cet élu, cette démarche aurait pour effet « de réduire le stock de résidences secondaires, tasser les prix et détendre le marché ».
Mais pour Me Martin Tomasi, avocat au barreau de Paris, « ce statut serait une solution radicale, nécessitant de modifier la constitution mais aussi les textes européens. C’est une démarche à garder en tête dans une perspective à long terme ». Beaucoup d’opposants au titre de résident estime qu’il est anticonstitutionnel. « Ce statut existe déjà dans des pays européens, dans les Iles Aland, en Finlande, ou dans la région autonome de Bolzano, en Italie, où il faut avoir habité la région pendant au moins cinq ans avant de pouvoir acheter un bien », rétorque Nils Caouissin.
Surtaxation des résidences secondaires et encadrement des meublés de tourisme
Il n’empêche. Pour nombre d’intervenants, les outils les plus faciles à mettre en œuvre sont des mesures juridiques et fiscales. Me Martin Tomasi rappelle l’existence de la surtaxation des résidences secondaires (la part communale de la taxe d’habitation peut être augmentée de 20 à 60 %) dans les agglos de plus de 50 000 habitants. Comme Xavier Roseren, il demande à ce que cette possibilité soit étendue partout, quel que soit le nombre d’habitants. Même principe pour l’encadrement des meublés de tourisme : les dispositifs très dissuasifs mis en place dans des villes de plus de 200 000 habitants et en Ile-de-France devraient pouvoir s’appliquer à tous les territoires touristiques. « Pour l’heure, des conseils municipaux peuvent demander au préfet d’instaurer un tel encadrement, mais c’est un droit très peu usité ».
Des servitudes de logements permanents
L’avocat d’origine corse reprend la proposition de Jean-Félix Acquaviva : « une approche commune par commune n’est pas la bonne échelle : il faudrait une réglementation régionale inscrite dans les documents d’urbanisme comme le SRADDET, avec une identification des territoires tendus. On pourrait y empêcher la construction de résidences secondaires en créant des servitudes dédiées aux logements permanents dans les PLU et PLUi ».
Pour aller plus loin, pourquoi ne pas instaurer des quotas de résidences secondaires ? « En Suisse, dans certains communes, les résidences secondaires ne doivent pas dépasser 10 ou 20 % des logements ; toutefois il y a des réserves sur ce point en droit français et européen », admet Me Tomasi.
Taxation des plus-values
Notaire et député (Modem) des Pyrénées-Atlantiques, Jean-Paul Mattei, membre de la commission des Finances, salue pour sa part les propositions fiscales de la maire de Guéthary, Marie-Pierre Burre-Cassou (SE). Et d’ajouter : « il faudrait créer un statut de loueur de biens nus pour la location à l’année », et ce afin de limiter les locations saisonnières. Le député a conçu un amendement suggérant de taxer à hauteur de 5 % toute plus-value générée, et de flécher ces sommes vers des établissements publics fonciers aptes à réaliser des préemption pour construire des logements. « Une partie de l’enrichissement dû à la spéculation immobilière doit revenir au territoire pour qu’il puisse maintenir ses services et son attractivité. Une telle proposition ne contourne pas le droit à la propriété ».
Inciter les résidents secondaires à s’installer
Autre piste : pousser les résidents secondaires à vivre sur place toute l’année. Objectif : éviter des logements vides plusieurs mois par an, redynamiser la ville et faire baisser les prix.
Anne Barrioz, chercheure et auteure d’une thèse sur le sujet (1), évoque un « office du logement » en Haute-Maurienne qui sensibilise les populations à la nécessité d’opérer une transition du tourisme vers de l’habitat à l’année. Elle cite également « la ville de Chambéry, qui propose l’accès à un espace de coworking aux habitants des résidences secondaires qui s’installent définitivement ».
Alliance transpartisane pour avoir plus de poids
Un point fait consensus : tous les élus de ces zones touristiques doivent s’unir, quel que soit leur bord politique, au-delà de toute vision régionaliste, pour porter haut et fort, de manière transpartisane, la voix des territoires touristiques auprès du parlement et du gouvernement
(1) Anne Barrioz, docteure en géographie, associée au laboratoire EDYTEM, a signé une thèse « S’installer et vivre dans les hautes vallées alpines :: des trajectoires de vie entre attractivité et capacité d’adaptation des territoires »