L’inscription du ZAN (zéro artificialisation nette) dans la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 est venue mettre un coup d’accélérateur à la lutte contre l’étalement urbain, en y apportant un objectif clair. Du ministère de la transition écologique aux directions départementales des territoires, en passant par France Stratégie et les agences d’urbanisme, tout le monde met (enfin) le sujet en haut de la pile !
Cette impulsion nationale est d’autant plus utile qu’elle intervient suite à un autre changement législatif : le transfert de l’élaboration du Plan local d’urbanisme (PLU) au niveau intercommunal avec la loi ALUR. Ce changement d’échelle de la planification des sols vise justement à dépasser le morcellement des stratégies d’urbanisation communale, qui alimente la concurrence territoriale et la fuite en avant de l’artificialisation des sols.
Sur le papier, la période actuelle correspond donc à l’alignement des planètes attendu depuis plusieurs décénnies. Dans les faits, la situation est plus compliquée. Au-delà des questions techniques qui restent à surmonter (définition de l’artificialisation, échelles et modalités de la compensation, etc.), la mise en œuvre du ZAN suscite de fortes tensions au sein des intercommunalités.
Réapparition de clivages anciens
De nombreux élus locaux voient le zéro artificialisation nette comme un obstacle au développement de leur territoire. D’autres dénoncent l’entourloupe de la compensation, comme si les sols étaient interchangeables. Faute d’appropriation du sujet, l’objectif ZAN bute sur la réactivation des clivages qu’on croyait obsolètes : collectivités locales versus Etat déconcentré, urbain versus rural, préservation versus développement…
Ces crispations montrent que le ZAN est aussi (voire surtout) un enjeu de gouvernance. Entre territoires mais aussi entre usagers du sol. Les sols ne sont pas qu’une surface plane à découper, pour qualifier la destination de chaque parcelle. C’est aussi un tissu d’interdépendances entre une pluralité d’usages. Sécheresse, inondation, perte de biodiversité… les chocs écologiques sont là pour nous rappeler que ce qui se passe sur le sol du voisin a des impacts directs sur tous les sols environnants.
Ces interdépendances imposent de changer de méthode. Pour sortir d’une planification technocratique et descendante, il est essentiel de redonner une place à la négociation en assumant la diversité des intérêts en présence.
Les COP inspirantes
Pour atteindre la mise en œuvre du ZAN, il nous semble pertinent de s’inspirer du fonctionnement international des COP. Si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes, les COP reste le moins pire des outils pour organiser la négociation multilatérale et faire face collectivement aux dérèglements climatiques.
Comme pour les COP, l’objectif-cible est déjà fixé avec le zéro artificialisation nette. Aussi réducteur soit-il, ce chiffre sert à la fois de point de départ mobilisateur et de point de repère collectif. Ce qui reste à définir, c’est la feuille de route pour y parvenir et la contribution de chaque partie prenante.
Comme pour les COP, l’ambition du ZAN consiste à passer de la prise de conscience des interdépendances à une action coordonnée, entre acteurs et entre territoires. Le tout en assumant que toutes les parties n’ont ni les mêmes intérêts, ni les mêmes contraintes. Le ZAN n’a pas la même signification pour une ville-centre ou une commune périurbaine, pour un agriculteur ou pour une PME en zone d’activité, tout comme les pays du Nord et du Sud ne jouent pas à armes égales face à l’impératif de neutralité carbone.
Comme pour les COP, le succès de cette négociation sans leadership incontesté repose sur sa capacité à faire émerger des coalitions à géométrie variable, en mesure de dépasser la fragmentation des acteurs pour faire monter le niveau d’engagement et passer à l’action.
Une gouvernance adaptée
Par rapport à l’élaboration traditionnelle d’un PLUi (ou d’un SCoT), l’organisation d’une COP locale des sols aurait plusieurs apports en terme de gouvernance. Premièrement, cela invite à élargir la table des négociations au-delà du petit cercle des planificateurs, pour montrer la diversité des parties concernées par la mise en œuvre du ZAN. La lutte contre l’artificialisation des sols ne se limite pas aux collectivités, elle doit aussi engager localement les principaux consommateurs fonciers (agriculteurs, entreprises, lotisseurs…) et les associations environnementales.
Deuxièmement, le format COP incite chaque acteur à formuler sa propre contribution, au lieu de s’abriter derrière de grands objectifs incantatoires. Il permet d’organiser la territorialisation du ZAN par-delà les clivages territoriaux, selon le principe d’une « responsabilité commune mais différenciée ». Au niveau local, l’enjeu consiste à dépasser le clivage urbain-rural pour souligner la diversité des sols, dans leurs fonctions et dans leur trajectoire.
Troisièmement, les COP permettent de faire bouger les lignes dans la durée, au lieu de figer trop vite un compromis bancal dans un document règlementaire qu’il est ensuite compliqué de réviser à la hausse. L’efficacité des COP repose sur la régularité du processus, chaque COP annuelle étant l’occasion d’approfondir les engagements sur tel ou tel sujet (en fonction du contexte mais aussi du territoire qui l’accueille, grâce à la présidence tournante).
Last but not least, le format COP peut être un bon levier pour renforcer l’alliance avec les scientifiques en matière de planification, comme en témoigne la COP de Rouen. Pour mieux comprendre l’état des sols, leurs vulnérabilités et leurs transformations. Mais aussi pour évaluer en quoi la somme des engagements permet (ou non) d’atteindre l’objectif ZAN.
En intégrant le défi écologique, le ZAN redonne tout son sens à la planification des sols. Il peut aussi contribuer à en faire un objet de débat démocratique, sur une question plus cruciale que jamais : de quels sols avons-nous besoin pour rendre nos territoires habitables ?
Cet article fait partie du Dossier
Le ZAN au jour le jour
Sommaire du dossier
- Les aménageurs publics entament leur transition
- Les SCoT en locomotives du ZAN et du ZEN…
- Les aménageurs publics entament leur refondation
- ZAN : le syndrome de l’usine à gaz
- Avec le ZAN et la réforme fiscale, le foncier vaut de l’or
- ZAN et stockage carbone, un objectif à prioriser
- Artificialisation des sols : la nomenclature à connaître est fixée
- ZAN et réforme fiscale : des arbitrages délicats
- Zones d’activités et loi « climat » : les collectivités s’outillent
- Et si on s’inspirait des COP pour mettre en œuvre le ZAN ?
- ZAN : le Sénat dénonce un passage en force
Thèmes abordés