Quelle est votre mission à la Ciivise ?
Notre première mission, c’est de recueillir les témoignages des victimes. Nous en avons déjà reçu 8 200 alors que la plateforme d’écoute des victimes fonctionne depuis septembre seulement. C’est énorme.
Il y a notamment beaucoup de témoignages de mères, confrontées à l’inceste de leur enfant par leur conjoint sans pouvoir le soustraire au droit de visite dans une procédure de divorce. La Ciivise a fait une recommandation à ce sujet qui a été suivie d’effet. En commission, nous auditionnons des personnes qualifiées, psychiatres, juristes, etc., qui nous apportent leur éclairage, mais chacun des membres de la Ciivise auditionne aussi des victimes qui ont témoigné. J’ai commencé à le faire.
L’objectif est de sortir d’une vision institutionnelle, froide et peu impliquante de l’inceste et des violences sexuelles faites aux mineurs, mais aussi de sortir les victimes de l’ombre et de les inclure dans notre réflexion collective. Elles ont un besoin éperdu d’être entendues, crues et reconnues dans leur souffrance. Quand elles étaient enfants, elles ont été profondément traumatisées et ont perdu confiance dans les adultes. Cela a compromis leur développement, car cette confiance dans les adultes aide à grandir.
Comment les conseils départementaux, chefs de file de la protection de l’enfance, peuvent-ils intervenir plus efficacement ?
Le repérage est difficile. L’inceste, les violences sexuelles faites aux enfants restent tabou, dans le secret des familles, avec des victimes sous l’emprise des auteurs, pendant de longues années. En outre, les services sociaux des départements sont pour l’essentiel en contact avec des familles ayant des difficultés économiques et sociales.
Dans les départements les mieux outillés, les professionnels sont formés et bénéficient de supervisions par des psychologues qui les aident à prendre le recul nécessaire. Mais tous les départements n’ont pas les mêmes moyens. Et, même pour des professionnels aguerris, beaucoup de situations restent invisibles.
Il y a plusieurs pistes d’amélioration. Nous allons faire une étude épidémiologique fouillée qui permettra notamment de mieux identifier les signaux d’alerte. Nous envisageons aussi de proposer à la Haute Autorité de Santé d’adapter le référentiel des informations préoccupantes à l’évaluation de ces situations d’inceste et de violences sexuelles sur des enfants. Mais cela ne suffira pas. Car ces situations se produisent aussi dans des milieux qui ne sont pas touchés par la précarité, donc pas en contact avec les services sociaux.
Alors, comment faire ?
Il faut avoir conscience que tous les professionnels et les bénévoles qui sont auprès des enfants sont concernés, notamment les agents territoriaux qui travaillent dans les crèches, les écoles maternelles, etc. Leurs employeurs doivent les former, leur donner les moyens d’alerter en étant protégés, et leur indiquer auprès de quels référents ils peuvent trouver des réponses. Pour renforcer le repérage, le secrétaire d’Etat en charge de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, a également évoqué la possibilité d’examens médicaux obligatoires pour tous les élèves. Mais, sur ces questions très sensibles, il est aussi très important de faire évoluer les mentalités, les représentations.
Les professionnels en contact avec des enfants peuvent eux-mêmes se comporter comme des prédateurs. Comment renforcer la vigilance à leur égard et prévenir ces violences sexuelles ?
Les lieux de protection des enfants se révèlent en effet être parfois des lieux d’exposition à la violence sexuelle. C’est d’une grande perversité pour les enfants retirés d’une famille maltraitante qui se retrouvent alors dans un autre milieu maltraitant. Il faut se donner des moyens extrêmement forts pour repérer ces professionnels ou ces bénévoles, auteurs de violences sexuelles sur des mineurs, et les poursuivre.
Il en est de même dans le secteur du handicap. Il faut être plus vigilant, par exemple examiner de manière rigoureuse leur casier judiciaire. Pour avancer sur ces questions, nous lançons le 12 janvier un nouvel appel à témoignages destiné aux adultes ayant été victimes de violences sexuelles dans leur enfance au sein d’une institution, qu’elle relève de l’aide sociale à l’enfance, des secteurs éducatif, loisirs, sport, etc.
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