Des polices municipales qui oscillent entre un modèle orienté vers l’intervention et un autre axé sur la tranquillité publique, des questionnements vifs de la part des élus, ou encore le cadre incertain de l’utilisation des drones. Voici quelques unes des réflexions de chercheurs à propos de l’évolution des polices municipales, formulées au cours d’une journée de réflexion sur « la place de la police municipale au sein du continuum de sécurité » organisée par le centre de recherche de l’École des officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN), le 9 décembre. Verbatims.
Jacques de Maillard, professeur de science politique à l’Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip)
“Il y a deux principaux types de modèles de police municipale, même si les réalités sont plus complexes. Celle de l’intervention, dotée d’armes à feu, avec généralement un travail de nuit et des unités ayant un mandat de lutte contre la criminalité. Et celle de la tranquillité publique et de proximité. Celle-ci se caractérise par un armement plus faible, est orientée vers le travail pédestre et se situe plus en retrait sur la logique d’intervention.
Il y a un phénomène intéressant: toutes les polices municipales, notamment en Île-de-France où le marché de l’emploi est tendu, cherchent à recruter des policiers municipaux. C’est donc une denrée rare. Pour des raisons symboliques et matérielles, ces policiers municipaux cherchent des polices plutôt armées, interventionnistes et qui proposent du travail de nuit.
Cela conduit à l’alimentation, par le bas, de cette logique d’intervention des polices municipales. Il faut souligner le risque potentiel de ce déplacement, qui pourrait conduire des polices municipales à ne plus remplir la mission pour laquelle elles ont souvent été créées, comme la qualité de la relation, l’apaisement ou la désescalade, et à trop s’aligner sur les modes d’action de la police nationale.”
Virginie Malochet, sociologue, chargée d’études à l’Institut Paris Région
“Force est de constater que les polices municipales basculent vers un modèle plus interventionniste et répressif. Elles tendent à se concentrer sur les opérations de contrôle, la verbalisation et les interpellations. Ce n’est évidemment pas sans incidence sur les relations avec le public. Les polices municipales ne sont effectivement pas épargnées par cette question ô combien sensible des rapports police-population. Car le statut territorial n’est pas gage d’ancrage local. Les liens de confiance avec la population, les implications partenariales, l’intégration dans l’environnement: tout cela se travaille. C’est important de ne pas le perdre de vue.
Or, ces dernières années, les polices municipales ont connu une assez nette inflexion sécuritaire. On peut alors se demander comment les inscrire, ou les maintenir, dans une logique de réelle complémentarité, non pas de substitution ni de subordination, une logique véritablement centrée sur les besoins de la collectivité.
C’est toute la question de l’extension du mandat des polices municipales, et les avis ne sont pas unanimes à ce sujet. Comme l’ont montré les débats autour de la loi sécurité globale, certains élus ont de fortes attentes et voudraient pouvoir en faire davantage, mais d’autres sont très réservés quant à cette volonté de renforcer toujours plus les polices municipales et de les positionner sur un registre, dans le fond, assez similaire à celui des forces de sécurité publiques, de police et de gendarmerie.
Xavier Latour, professeur de droit public à l’Université de Nice-Sophia Antipolis
“La décision du Conseil constitutionnel censurant l’élargissement des compétences de police municipale à travers la loi Sécurité globale était prévisible. Il semble avoir donné un coup d’arrêt à cet élargissement des attributions judiciaires. Les coopérations sur ce terrain ne pourront sans doute pas aller beaucoup plus loin, confirmant le cantonnement des prérogatives des polices municipales à une part subsidiaire.
Le Conseil constitutionnel a, également, freiné l’élan qui consistait à favoriser l’action des drones. En tout état de cause, si leur utilisation est autorisée par la loi relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure, cela va soulever de sérieuses interrogations. Toutes les communes ne vont pas pouvoir, ni vouloir, s’équiper de drones. Il y aura des choix politiques à faire pour les maires qui devront franchir le cap de la vidéoprotection fixe au profit d’une vidéoprotection mobile et aérienne. C’est une évolution symbolique. Les maires y réfléchiront vraisemblablement à deux fois.
Mais c’est sur ce terrain des technologies de sécurité que des partenariats vont pouvoir se développer. Le cadre juridique des partenariats est conduit à évoluer, car les enjeux technologiques sont d’importants facteurs d’évolution des pratiques.”
Cheffe d’escadron Laetitia Marin, cheffe de la section prévention partenariat au bureau de la sécurité et de l’ordre publics de la gendarmerie.
“Nous n’avons aucune doctrine nationale qui vient imposer les modalités de coopération avec les polices municipales. Une latitude est donc laissée aux unités territoriales pour développer des modalités locales de partenariat et les officialiser dans des conventions de coordination.
Une unité de gendarmerie, le groupement de gendarmerie de Gironde, a signé le premier contrat de sécurité intégré le 6 décembre dernier avec la préfecture et des élus. Ce nouvel outil a pour but de concrétiser à un niveau stratégique le partenariat entre l’Etat et les collectivités locales. J’ajoute qu’en 2020, 1811 polices municipales et 326 polices intercommunales avaient signé une convention de coordination.”
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Les policiers municipaux face au tournant sécuritaire
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- Police municipale : les universitaires pointent un changement de modèle
- Police municipale : un autre modèle est-il possible ?
- Sécurité : les policiers municipaux sur tous les fronts
- « Le durcissement des polices municipales n’est pas sans incidence sur les relations avec le public »
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